Ce roman est un simple récit d’aventures lunaires, ou plutôt de naufrage. Les titres des deux tomes de la première édition française au Fleuve Noir (Naufragés de la lune et SOS Lune) sont explicites, mais le titre original, A Fall of Moondust, spécifie davantage le contexte. Le Séléné est le seul et unique « bateau » lunaire — imaginez une sorte de petit bateau-mouche comme on en voit sur la Seine, conçu pour une vingtaine de passagers – qui navigue sur la (fictive) Mer de la Soif. Il s’agit d’une mer de poussière ultrafine, comme du talc ou cette poudre de graphite que l’on utilise comme lubrifiant. Ce qui y tombe y disparaît sans laisser la moindre trace en surface.
Dans ce roman, Clarke nous propose une Lune réaliste selon les connaissances de l’époque, et c’est là le plus grand intérêt du livre. Il n’y a pas d’air, il faut porter des scaphandres. La pesanteur est six fois moindre que sur Terre, laquelle est immobile dans le ciel mais connaît des phases tout comme la Lune vue du plancher des vaches. La journée y dure quinze jours et la nuit tout autant. L’amplitude thermique est énorme. Le paysage lunaire apparaît comme en noir et blanc ; les ombres très tranchées font apparaître le relief comme fort tourmenté alors qu’il est en fait peu accentué.
Un tremblement de Lune engloutit le Séléné sous quinze mètres de poussière ultra-fluide avant qu’il puisse envoyer un appel de détresse. Nous savons aujourd’hui, grâce aux sismographes laissés sur notre satellite par les diverses missions, qu’il y a bien des séismes sur la Lune, mais Clarke, lui, dut le spéculer. En revanche, la poussière n’atteint jamais une telle épaisseur.
Dans un premier temps, il faut localiser le lieu du naufrage, avant que s’engage une course contre la montre pour sauver les passagers et l’équipage du bateau. L’accroissement de la chaleur dans la cabine, l’augmentation du taux de gaz carbonique sont quelques-uns des risques auxquels les naufragés doivent faire face. Pendant ce temps, la colonie lunaire met tout en œuvre en la personne de son ingénieur en chef, Lawrence, pour organiser les secours. Les médias sont là, avides d’informations, de sensationnel et d’émotions, certes, mais pas de tragédie.
L’histoire se déroule dans un XXIe siècle qui n’est pas le nôtre – on est très loin d’avoir des villes et du tourisme lunaires, des colonies sur Mars et Vénus et un astronaute ayant atteint Pluton. Il n’y a pas de méchants et pourtant, ça tient. Il y a de sales caractères, des personnes plus fragiles, un soucoupiste devenu escroc pour le bien de sa cause, et le flic qui va de pair avec.
Les Gouffres de la lune est un roman d’aventures où le suspense est bien tenu tout du long, toujours plausible, sans grand renfort de pyrotechnie, mais il a un peu vieilli, le progrès n’ayant pas suivi la marche effrénée qu’Arthur C. Clarke aurait voulu lui voir soutenir.