Nancy KRESS
FLAMMARION
266pp - 15,09 €
Critique parue en février 2002 dans Bifrost n° 25
Même si « Imagine » a quelque peu amélioré sa maquette de couverture, l'illustration reste ici toujours et encore un véritable chasse-lecteurs. Il ne faut pas avoir peur pour lire un livre aussi laid. Ceux — espérons-les malgré tout nombreux — qui passeront cette épreuve, s'en verront bien récompensés.
Pour ce roman, Nancy Kress spécule que la baisse de la fertilité masculine qui s'observe actuellement en Occident va continuer de s'aggraver jusqu'à une stérilité quasi-totale à l'horizon 2035. Parmi les diverses explications avancées — mise en cause des bains chauds et des sous-vêtements trop serrés, réaction psychosomatique de castration induite par l'évolution du rapport sociétal entre les sexes, ou réponse tendant à faire baisser le stress proxémique généré par la surpopulation —, Nancy Kress retient celle de polluants chimiques perturbant le système endocrinien.
es gosses sont donc devenus rares et chers au sein d'une population riche ou pauvre mais toujours vieille. De plus, tous sont loin d'être en bon état… Animaux de compagnies et tamagochis ne suffisent plus à pallier le déficit affectif mais l'ingénierie biomédicale peut beaucoup pour vous sous réserve que vous — et votre compte en banque — puissiez beaucoup pour elle.
Mais l'Amérique est toujours aussi confite en morale qu'aujourd'hui. Les politiciens dont la façade éthique se doit d'avoir la pureté du diamant ont interdit la génétique humaine en fonction d'une opinion publique qu'ils ont façonnée. Côté cour, dans les hangars, on s'active clandestinement, tandis qu'en haut, on couvre et on renvoie l'ascenseur. Quelle importance si ça fait des dégâts chez les gens ordinaires… Ils ne valent quand même pas que l'on remette en cause l'ordre du fric !
C'est dans ce lourd contexte social que s'entrecroiseront Shana Walders qui voulait s'engager dans l'armée, le docteur Nick Clementi qui siège à une obscure commission du congrès et le danseur homo Cameron Atuli. Walders doit témoigner devant la commission où siège Clementi pour avoir vu des chimpanzés avec le visage d'Atuli. Comme le témoignage est gênant, et le président de la commission trempé jusqu'aux cheveux dans l'affaire, il est décidé de refuser à Walders de s'engager dans l'armée à la fin de son service. On en comprend mal la raison mais ça fait avancer l'intrigue sur les chapeaux de roue. Partie ratonner l'homo avec des copines de régiment, elle reconnaît sur Cameron Atuli le visage des chimpanzés. Elle aura ensuite bien du mal à approcher de ce jeune danseur dont la mémoire a été effacée ainsi que l'horreur qu'il a subie. Clementi, pour faire avancer ses vues, considérant les perturbateurs endocriniens issus de l'industrie chimique comme responsable de la crise démographique, va aider Walders.
Ce roman n'est pas totalement exempt de petits défauts mais ils contribuent à « booster » l'action et, de ce fait, correspondent à un choix, le bon. Nancy Kress tient la gageure de dépeindre en profondeur un contexte social dans un livre de 260 pages qu'elle mène tambour battant. Les Hommes dénaturés peut sans rougir prendre sa place au côté du Feu sacré de Bruce Sterling dans toute belle bibliothèque de S-F. Chapeau bas.