Nancy KRESS
POCKET
320pp - 8,30 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
Initialement publié en France en 2001 par le regretté Jacques Chambon dans la non moins regrettée collection « Imagine » des éditions Flammarion, Les Hommes dénaturés est le dixième roman de Nancy Kress (1998 en VO).
Au tournant des années 2030, le Retournement tant redouté s’est produit : la pyramide des âges s’est inversée, le nombre de décès a dépassé le celui des naissances. En cause, un taux de natalité en chute libre, conséquence directe d’un environnement de plus en plus pollué et de perturbateurs endocriniens omniprésents. Naturellement, le visage du monde s’en trouve bouleversé ; la jeunesse devient le bien le plus précieux des sociétés occidentalisées (comme souvent chez Kress, le prisme est très américano-centré), la moindre naissance est un événement, la tentation du trafic d’enfant est plus qu’une tentation, et l’adoption d’animaux explose – triste pis-aller pour des couples en mal d’amour filial.
C’est dans semblable contexte que Shana Walders, jeune appelée au caractère de cochon désireuse de faire carrière dans l’armée, effectue une intervention de sécurisation suite à un incendie provoqué par le déraillement d’un train. Au cours de l’opération, elle aperçoit un fuyard les bras chargés de petits singes, des animaux dont Shana jurerait qu’ils sont dotés d’un visage… humain. Virée de l’armée alors qu’elle tentait de révéler sa découverte au plus grand nombre par le biais d’une commission véreuse, la grande gueule au langage de charretier ne compte pas en rester là et entreprend de mener sa propre enquête. D’autant que peu après, lors d’une soirée désœuvrée avec quelques copines militaires qui vire à la castagne homophobe, elle reconnaît, en la personne d’un des agressés, le visage aperçu sur les singes… S’intriquent alors trois lignes narratives, celle de Shana, celle du danseur Cameron Utuli, l’homosexuel agressé (Kress renouant ici avec l’une de ses grandes passions, la danse classique, domaine qui offre le cadre à, ou teinte nombre de ses récits), et celle de Nick Clementi, riche médecin au bras long mais sur le point de mourir, qui décide d’aider Shana.
Les Hommes dénaturés est un condensé de Nancy Kress. Futur proche. Questions sociétales. Bio-ingénierie et magouilles à tous les étages. Et ce jusque dans les travers de l’auteur (et ses marottes). Car si le roman ne manque pas de rebondissements, tous les personnages ne bénéficient pas du même traitement et on frôle parfois la caricature. Le roman, pourtant court, patine ça et là, et le récit aurait sans doute gagné à se resserrer sur l’une ou l’autre des lignes narratives (Shana Walders, bien entendu). L’auteure, définitivement plus à son aise dans le format du court roman ou de la novella, aurait à coup sûr accouché d’un texte plus nerveux, plus dynamique, tout en gommant l’aspect un rien caricatural déjà évoqué.
Reste un techno-thriller fréquentable, distrayant et non exempt de questions pertinentes, sans doute parfois desservi par une traduction un poil trop sage. Il y a bien longtemps (en 2002, dans le Bifrost 25), notre collaborateur hissait Les Hommes dénaturés au niveau du Feu sacré de Bruce Sterling. On s’autorisera ici un peu moins d’enthousiasme.