Ernest Pérochon (1885-1942) a connu le succès en écrivant des romans du monde paysan, lui valant le prix Goncourt en 1920 avec Nène. On lui doit en 1925 cet étonnant exemple de science-fiction française, que Pierre Versins décrit dans son Encyclopédie comme un « atroce poème de l’horreur ». Publié un temps (1971) chez Marabout, il revient ici en librairie, précédé d’une éclairante préface de Yann Fastier chez un nouvel éditeur, On verra bien. Unique écrit prospectif de l’auteur, il est l’occasion de découvrir un texte à la noirceur implacable, à l’humour parfois étonnant et auquel le temps a donné une valeur supplémentaire.
Le roman débute en l’an 525 de l’ère Universelle. Après des siècles de dévastations et de guerres, la sagesse scientifique a enfin pu mettre en place une époque de paix et de prospérité mondiale succédant à l’ère chrétienne. Les villes rasées n’ont pas été reconstruites. Dorénavant, les hommes résident le long de méridiens et de parallèles sur lesquels courent les flux énergétiques gratuits. Depuis cinq siècles, le Conseil Suprême guide l’humanité, prévenant les guerres ou, le cas échéant, intervenant par l’intermédiaire de la Police universelle.
Mais l’utopie ne saurait durer. Luc Harrison, disciple préféré du plus grand chercheur ayant jamais vécu, n’a que trop conscience des risques qu’entraînent les dérives d’un scientisme sans conscience. L’unité humaine se délite à mesure que l’extrémisme musulman monte d’Afrique, que les nations se reconstituent et que les haines, rancunes et racismes renaissent. Jusqu’à que ce que la guerre revienne, et recommence son terrible travail destructeur.
Cette vision du futur est celle d’un homme ayant vécu les tranchées qui met en scène ses craintes pour l’avenir. Les deux premières parties du roman progressent vers l’apocalypse, à l’échelle de la planète, alors que les politiques s’égarent, que les scientifiques deviennent fous, que l’on n’entend plus les sages et que l’on utilise des armes féériques aux retombées dévastatrices sur les corps et les esprits des survivants. La dernière partie se situe au lendemain des destructions, une fois que les hommes devenus frénétiques se sont enfin entretués. Elle raconte l’émergence d’une nouvelle humanité grâce à deux enfants attardés. L’homme est revenu dans les cavernes, sans science ni intelligence, mais capable d’un amour paisible et paresseux.
Le roman prend la forme d’une chronique historique, délaissant ses personnages au profit des nations et des groupes. Certains individus — très fortement symboliques — surviennent sans avoir d’autre épaisseur que celle de leur fonction. Le romanesque n’est pas à rechercher ici. On se plait à relever les points d’extrapolation de Pérochon, comme la Société des Nations devenue force de Police internationale et finalement tout aussi inefficace. On est alors frappé par la force de la mise en garde et sa froide pertinence.
Pérochon appelait à la paix, au contrôle de la science mise au service de la guerre. Il est mort en 1942, persécuté par Vichy, alors que le monde autour de lui avait sombré dans la frénésie…