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Les critiques de Bifrost

Les Îles du soleil

Les Îles du soleil

Ian R. MACLEOD
FOLIO
416pp - 10,40 €

Bifrost n° 40

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

De Ian R. MacLeod ne sont parues en France que quelques rares nouvelles. Les Iles du soleil est l'extension d'une novella du même titre, finaliste du prix Hugo et lauréate du World Fantasy Award et du Sidewise Award for Alternate History, ce dernier prix récompensant, entre autres, les meilleures uchronies. Car c'est bien d'uchronie dont il est ici question, qui nous arrive en inédit chez Folio « SF », ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

Le point de rupture avec notre trame temporelle n'est pas évident au début du roman. Le narrateur, Griffin Brooke (de son nom de plume, Geoffrey Brook), vit en 1940 en Très Grande-Bretagne. Le pays est aux mains d'un gouvernement ultranationaliste et de son leader charismatique, John Arthur. Les Irlandais, les juifs et les homosexuels sont pourchassés et déportés vers une destination inconnue. Ça vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant : John Arthur a, comme un certain Adolf Hitler, été militaire pendant la Première Guerre mondiale. Mais ici, c'est l'Allemagne qui a gagné, imposant à l'Angleterre des réparations vécues par le peuple britannique comme une humiliation. De nombreux changements de gouvernement successifs amènent finalement au pouvoir John Arthur et l'Alliance Impériale, mouvement factieux qu'il a fondé. Tous ces éléments nous sont distillés au compte-goutte par Brook, suivant le cours tortueux de ses souvenirs à l'approche de son décès. En effet, il est condamné par une tumeur incurable. En tant qu'historien, il ne peut s'empêcher de se poser la question de l'inéluctabilité de l'histoire : et si John Arthur n'avait pas existé, y aurait-il eu un autre grand homme pour se lever et défendre la suprématie de la Grande Bretagne ? Les minorités déportées n'auraient-elles pas eu à souffrir ? Cette dernière question lui tient tout particulièrement à cœur, étant lui-même homosexuel et obligé de se cacher pour pouvoir vivre un semblant de relation avec un homme qui finit par disparaître du jour au lendemain. Et on comprend peu à peu que, d'une façon ou d'une autre, les destins de Brook et de John Arthur sont liés…

Roman introspectif, brillamment écrit, Les Iles du soleil est aussi « so British » et risquera de perdre en route les lecteurs dont les connaissances en histoire en général, et de la Grande-Bretagne, en particulier, n'ont pas subi un rafraîchissement récent (en ce qui me concerne, le dernier doit dater du lycée, autant dire une éternité… honte sur moi). À moins que, comme le dit Brook lui-même, les Français soient « étrangers [aux Britanniques] comme jamais ne pourront l'être les Indiens ou les Boers » (p. 17). Le risque est grand, alors, de ne pas saisir tous les décalages avec notre réalité, toutes les subtilités qui parsèment le texte. Malgré tout, on progresse dans le roman, en se demandant quel terrible secret lie Brook à John Arthur, et si, finalement, l'arrivée au pouvoir dans un grand pays d'Europe (Allemagne, Angleterre ou, pourquoi pas, France) d'un dictateur près à faire basculer la planète dans le chaos était inévitable. Une réussite donc, et incontestable, à rapprocher de celle de Christopher Priest et sa Séparation, qui nous incitera à surveiller la parution, prévue en « Lunes d'Encre », de The Light ages, autre grand succès de l'auteur.

Pascal GODBILLON

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