Amish TRIPATHI
FLEUVE NOIR
512pp - 20,90 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
À l’annonce de cette parution, d’aucuns pouvaient se réjouir : la traduction d’un nouveau livre fantastique indien ! Joie ! On allait sortir des autoroutes anglo-américaines pour découvrir un chemin différent – une opportunité si rare. La présentation était alléchante : et si Shiva, le Mahadev, le Dieu des Dieux, le Destructeur du Mal, n’était qu’un simple être humain dont l’existence exceptionnelle, la politique intelligente et habile, et les exploits guerriers incroyable avaient fait l’égal des dieux ? Hélas, les promesses ne sont pas tenues. Là où on s’attendait à une fresque épique guerrière, au renouvellement d’un mythe fondateur, on ne trouve ici qu’un conte naïf peinant à entraîner le lecteur à la suite de ses héros.
Le style est fluide et agréable, mais un tantinet trop facile et didactique. Les personnages sont simples, souvent naïfs (encore, oui), touchant presque au cliché, comme souvent dans les allégories religieuses ; on oublie ici tout idée d’identification par manque de profondeur psychologique. Des forces géopolitiques qui ont poussé ce chef d’une petite tribu tibétaine à s’aventurer dans d’autres territoires, à devenir l’égal d’un dieu pour la postérité, on ne saura presque rien, tant il semble subir les événements plutôt que les vivre. Seule une antique prophétie justifie l’ascension rapide au pouvoir de cet homme au karma exceptionnel, et il semble trop difficile pour le texte de se détacher d’une symbolique millénaire forte et omniprésente.
L’histoire aurait pu être intéressante, particulièrement pour nous, publics occidentaux trop souvent non initiés à la richesse des cultures indiennes et asiatiques. Mais alors que le roman se voulait justement roman et devait dépoussiérer un récit millénaire, il échoue. Où sont les stratégies politiques et guerrières, les jeux d’alliances, les richesses polyculturelles de cette époque historique antique si foisonnante qui ont créé l’Inde ?
Quel dommage ! L’auteur, que l’on devine érudit éclairé et croyant, aurait pu apporter tellement plus à cette Histoire… Nous reste à relire Gilgamesh, roi d’Ourouk de Robert Silverberg, et en conseiller du coup la lecture à Amish Tripathi.