Ewoud KIEFT
ACTES SUD
288pp - 22,50 €
Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107
Cas est un jeune homme implémenté. Comme tout être humain, il vit en symbiose avec une intelligence artificielle personnelle, mère virtuelle, omnisciente et entièrement dévouée à son pendant humain. Gena veille à son éducation, son bien-être, et planifie chaque instant de sa vie qu’elle se doit de rendre parfaite. Cas n’est ni heureux, ni malheureux, le monde réel l’indiffère et il se complaît dans les Yitus, ces réalités virtuelles aux possibilités infinies, plutôt que de chercher à tisser des liens avec ses semblables dont les réactions sont dictées par leurs propres algorithmes. Jusqu’au jour où Cas va croiser la route de l’un d’entre eux. Un Imparfait. Un déconnecté. Un marginal à la peau maladive, aux yeux cernés et aux dents putrides. Jusqu’au jour où Cas va oser briser ses chaînes virtuelles pour faire découvrir le goût à son humanité.
Ewoud Kieft fait un pas de fourmi dans le temps. Dans cette époque si proche de la nôtre, les politiques n’ont trouvé qu’une seule réponse face à l’effondrement de la société : soumettre l’homme, son corps et ses émotions, à des intelligences artificielles, le décharger de ses responsabilités, à commencer par celles envers ses enfants, le débarrasser des préoccupations du quotidien et des maladies qui pourraient le rendre… humain. Raconté par l’une de ces IA, le roman trouve là son originalité et sa faiblesse, car le style froid met le lecteur à distance, d’autant que l’intrigue est clairement reléguée au second plan. Mais qui mieux que cette mère d’adoption pouvait raconter l’histoire de Cas ? Raconter, ou plutôt témoigner devant des représentants du gouvernant de la déchéance d’un de leurs sujets. La responsabilité de Gena est questionnée, comme une mère, elle s’interroge sur ce qu’elle aurait pu faire pour éviter à Cas de se rapprocher des Imparfaits. Comme une vraie mère, Gena évolue avec son enfant, comme lui, elle commet des erreurs, apprend et grandit. En 2060, qu’en sera-t-il de notre humanité ? Sera-t-elle toujours l’apanage de l’Homme ? Ou celui des Imparfaits ? Voire des IA ?
Les Imparfaits alerte sur la déshumanisation qui est en marche, sur notre libre-arbitre, sur notre asservissement aux réseaux et à la virtualité, et sur l’infantilisation à laquelle nous sommes soumis et dont nous sommes dépendants. Mais les questionnements que soulèvent ce premier roman et les réponses qu’il offre, tout comme l’originalité du point de vue adopté, ne suffisent pas à transformer l’essai et, tout comme Cas, on se déconnecte assez vite, hélas, de son intrigue mollassonne.