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Les critiques de Bifrost

1982. Les deux derniers romans d’Anne Rice, The Feast of All Saints et La Voix des anges, n’ont eu ni le triomphe critique, ni le succès commercial d’Entretien avec un vampire : le premier est considéré comme trop dense pour être digeste, le second est crucifié par la critique. L’autrice décide donc de revenir à l’érotisme, un domaine auquel elle s’était frottée dans les années 60, et d’écrire, sous le pseudonyme d’A.N. Roquelaure, une trilogie de romans BDSM (sortis en VO de 1983 à 1985 ; un quatrième tome, jamais traduit, paraîtra trente ans après ses prédécesseurs) aussi « dégraissés » de toute lourdeur que possible et inspirés par le conte de… La Belle au bois dormant. La chose peut paraître d’une originalité et d’une audace folle, mais il faut réaliser que la version de Perrault, la plus connue sous nos latitudes, est loin d’être la seule, et dans nombre de cas, la Belle n’est pas réveillée de son sommeil magique par un banal baiser, mais par un viol, voire la fin d’une grossesse consécutive à ce dernier. Rice ne fait que développer ce qui se passe après cet acte – et retrouve au passage le succès, le cycle acquérant même, au fil des ans, un statut culte.

Le Prince, qui, en la violentant, réveille la Belle, est l’héritier du plus puissant royaume des environs, dont la Reine exige des monarques voisins qu’ils lui livrent, en tant que tribut, un de leurs descendants pendant quelques années. Ceux qui l’ont vécue n’évoquent jamais leur expérience… et pour cause. Ils sont en fait réduits à l’état d’esclave sexuel, obligés d’être nus et à quatre pattes en permanence, soumis aux châtiments corporels et aux désirs sadiques de leurs maître(sse)s. On ne peut ni les tuer, ni les mutiler, ni les blesser, mais à part ça, tout est permis. Complète innocente, la Belle intègre ce système, et sa peur et sa confusion initiales laissent vite place à une béatitude masochiste marquée par un profond syndrome de Stockholm et quelques rares éclairs de lucidité quant à l’horreur de sa situation (passivité qui, toutefois, est dans la droite lignée des différentes versions du conte). Le ton n’a rien de tragique, pas plus qu’il n’est explicitement parodique, même si, parfois, la conjugaison d’absurdité et d’extrême des situations vécues par les protagonistes (le point de vue majoritaire est celui de la Belle, mais celui d’un Prince étranger dont elle s’amourache est aussi présent dans chacun des tomes) prête à se demander si tout cela n’est pas la manifestation de la volonté sadique de placer un personnage innocent, un peu nunuche et disneyien, dans les pires situations imaginables, ses blanches fesses soumises au battoir ou aux attentions toutes masculines, féminines, voire les deux à la fois, de ses maîtres. La chose (tragi-)comique étant que de tome en tome, la situation de la Belle devient plus extrême : dans le second, elle est envoyée en punition de son insolence dans le terrible Village, de sinistre réputation, où elle est, cette fois, soumise aux appétits des gueux, et dans le troisième, capturée par des étrangers, elle devient carrément une chose, un jouet sexuel supposé dénué d’humanité. On notera toutefois que dans le quatrième tome, la Belle prend le pouvoir et change profondément le système – nous voilà rassurés.

Pas vraiment destinée à tous les profils de lecteurs, cette tétralogie s’avère fort bien écrite et traduite, particulièrement plaisante dans sa dimension comique, même si le frisson érotique ressenti reste finalement assez mince.

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