Boris STROUGATSKI
LINGVA
23,00 €
Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85
L’entreprise admirable menée par Viktoriya et Patrice Lajoye dans le cadre de leur maison d’édition Lingva s’engage sur de nouveaux sentiers avec le présent roman. Et le nom de l’auteur, cette fois, est bien davantage connu des amateurs de science-fiction : Les Inhibés est en effet l’œuvre de Boris Strougatski, lequel avait continué à écrire après le décès de son frère Arkadi en 1991, même si aucun de ses titres en solo n’avait jusqu’alors bénéficié d’une traduction française. Les rééditions des œuvres essentielles des deux frères chez « Lunes d’encre » ayant connu un coup d’arrêt, cette publication indépendante s’avère particulièrement alléchante…
Les Inhibés met en scène des individus disposant de facultés extraordinaires, d’ordre psychique, disons. Ce que nous découvrons, à demi-mots, au travers du personnage de Vadim, brusqué d’emblée par des individus guère recommandables, qui exigent de lui qu’il intervienne dans une élection afin de faire gagner le candidat donné pour l’heure perdant ; Vadim, en effet, semble être en mesure, non seulement de voir l’avenir, mais aussi de peser sur lui, jusqu’à le transformer.
D’autres, autour de lui – encore que les liens soient longtemps diffus dans ce roman adoptant un rythme d’escargot, et changeant de point de vue à chaque chapitre, on oublie donc Vadim pour un bon moment –, bénéficient également de facultés étranges, mémoire eidétique, capacité à percevoir le mensonge, etc. Ces facultés, ils en jouent « professionnellement », en en faisant leur gagne-pain… Pas grand-chose de X-Men. Et ils sont parfois aigris, souvent moroses. Peut-être avant tout parce qu’ils savent que leurs pouvoirs sont inefficaces ? Ces « Inhibés » peuvent-ils vraiment en faire quelque chose ? Ils en doutent…
D’autant plus en raison du monde dans lequel ils vivent – un monde marqué de l’empreinte de grands projets, impliquant de grands pouvoirs, mais qui ont débouché sur le vide, au mieux si ça se trouve… La Russie post-soviétique, évocatrice d’emblée d’une forme de gueule de bois – contexte qui peut probablement entrer en résonance avec les œuvres des Strougatski datant de l’ère antérieure, et où la médiocrité était plus qu’à son tour de mise.
Mais le texte est contaminé par cette médiocrité. Les Inhibés adopte un pas lent et mortellement ennuyeux, en se dispersant au fil de séquences décousues, bavardes, et plus qu’à leur tour confuses.
Si quelques scènes, çà et là, produisent leur effet, elles sont cependant noyées dans les digressions interminables – et d’autant plus interminables qu’elles sont imprégnées d’absurde, mais aussi de références littéraires horriblement envahissantes, petit jeu d’abord vaguement amusant, mais bien vite agaçant…
Hélas, la plume n’arrange rien à l’affaire – lourde globalement, souvent confuse, et d’un ennui sans nom. Ici, la traduction a sans doute sa part, hélas –, et aurait probablement bénéficié d’un regard davantage externe, d’une direction d’ouvrage plus détachée.
Triste résultat, donc : le livre était alléchant mais s’avère un pensum. L’entreprise des époux Lajoye demeure salutaire, mais, pour le coup, le choix de ce roman en particulier est peu concluant…