Lisa GOLDSTEIN
RIVAGES
20,88 €
Critique parue en décembre 1998 dans Bifrost n° 11
Nous sommes à Londres, à la fin du XVIe siècle. Depuis la mort de son mari, emporté par la peste, Alice Wood est devenue la première femme membre de la Confrérie des Libraires-Editeurs. A ses difficultés à se faire accepter par ses pairs s'ajoutent bientôt d'autres problèmes, dont les conséquences pourraient s'avérer bien plus grave : son fils, qu'Alice n'a plus vu depuis des années, semble être lié à un complot visant à l'assassinat de la reine. A la cour d'Elizabeth, le célèbre dramaturge Christopher Marlowe mène lui aussi l'enquête. Mais derrière les intrigues politiques qu'il est chargé de mettre à jour se dissimule en réalité un événement bien plus fantastique : le retour du Peuple Fabuleux.
Selon l'humeur ou la sensibilité de chacun, on pourra classer Les jeux étranges du Soleil et de la Lune parmi les œuvres de fantasy, les romans historiques, voire dans la plus farfelue catégorie des « thrillers élisabéthains ». Fantasy bien sûr, car la magie occupe ici, comme dans la plupart des textes de Lisa Goldstein, une place prépondérante. La romancière insiste surtout sur les différences fondamentales existant entre humains et créatures magiques, sur l'étrangeté des uns aux yeux des autres, et au final sur l'impossibilité pour ces deux mondes de coexister. Le roman raconte donc le passage d'une période à une autre, métaphore transparente de l'évolution politique et sociale que connaît l'Angleterre sous le règne d'Elisabeth Première.
L'intérêt de ce roman doit également beaucoup à son personnage principal, Christopher Marlowe, auteur de ce classique du théâtre anglais qu'est Le Docteur Faustus, dont la personnalité et la vie tumultueuse permettent à la romancière de dynamiser son récit. Le dramaturge évolue dans un univers de mensonges et de faux-semblants, sur lequel l'apparition du Peuple Fabuleux vient faire souffler un vent de paranoïa des plus réjouissants, et plonge le lecteur dans une ambiance que l'on s'attend plus volontiers à retrouver chez John Le Carré que dans un roman de fantasy. Parallèlement, lorsqu'elle s'intéresse à l'histoire d'Alice Wood, autre personnage en butte aux préjugés et aux interdits de son époque, Lisa Goldstein œuvre dans un registre beaucoup plus intimiste, évitant avec aisance les écueils du mélodrame. On conseillera donc vivement à tous ceux qui avaient raté il y a trois ans la publication des Jeux étranges du Soleil et de la Lune chez Rivages de se précipiter sur cette réédition.