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Les critiques de Bifrost

Les Jours étranges de Nostradamus

Les Jours étranges de Nostradamus

Jean-Philippe DEPOTTE
DENOËL
544pp - 22,00 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

XVIe siècle, en France, Philibert Sarrazin, médecin lyonnais protestant, disciple de la médecine nouvelle de Vésale et Paré, se rend à Paris à l’appel d’un ancien collègue afin de pratiquer une dissection clandestine. Piégé et enlevé par un proche de la cour du Roi qui le fait chanter, il devra accepter d’espionner Michel de Nostredame, son beau-frère, afin de découvrir ses secrets et préserver ainsi son honneur. De Paris à Salon de Provence, en passant par Lyon, à une époque où mijotent les ingrédients de la guerre entre catholiques et protestants, nous suivrons les déconvenues de notre modeste médecin, héros malgré lui d’une histoire qui le dépasse…

Deuxième roman de Jean Philippe Depotte, jeune auteur découvert par Denoël, voici une livraison difficile à classer. Thriller fantastico-historique ? Il y a de cela, tant l’auteur mêle l’exactitude des faits historiques à une certaine fantasmagorie mâtinée d’ésotérisme, le tout soutenu par un rythme romanesque débridé. On s’y perd et c’est très bien comme ça.

Même si Les jours étranges de Nostradamus s’inscrit moins dans la veine fantastique que Les Démons de Paris, il n’en reste pas moins quelques récurrences évidentes. D’abord, un personnage central éminemment croyant, bouleversé par la puissance du divin, en doute quant à la mise en réalité humaine du spirituel, en perpétuelle quête de sens. Ensuite la place des femmes, dans leur contexte, dans leur temps. Elles sont toujours prépondérantes à chaque ressort de l’intrigue.

On frôle parfois la stigmatisation, les comportements stéréotypés des personnages, qu’ils soient catholiques ou protestants, sont poussés à l’extrême. Et pourtant le rendu final demeure équilibré, cohérent, et nous donne une image finalement assez complète et juste (autant qu’on puisse en juger) de l’effervescence religieuse mortifère de l’époque, prémisse des massacres de la Saint Barthelemy. Certains y verront une forme de neutralité dans l’équilibre du re-gard porté par l’auteur, d’autres un jugement définitif dans l’analyse accablante qu’il a de son sujet. En tout cas, l’approche de Jean- Philippe Depotte ne peut laisser indifférent tant elle est fouillée. Là où d’autres n’ont fait qu’effleurer le sujet, il pousse loin dans l’exploration des thématiques sous-jacentes : proximité de l’absolue et de la folie ; triptyque pouvoir, religion, dissidence ; dualité de la science et du divin… On retrouve dans Les Jours étranges de Nostradamus quelques envolées du Moineau de Dieu de Mary Doria Russell (chef-d’œuvre, s’il en est). C’est dire si Depotte aura su approfondir son sujet et nous le restituer dans un format limpide et palpitant. Un livre intelligent et ludique. Plus que le présent roman, c’est ici l’auteur qui nous intéresse. De ceux dont le travail ne peut réellement s’appréhender que dans l’appréciation de l’ensemble, tissé patiemment de passerelles d’un écrit à l’autre. Alors évidemment, deux romans c’est encore un peu court, ne nous emballons pas, mais attendons avec impatience la suite pour vérifier notre hypothèse.

Bref, un vrai plaisir de lecture, un livre qui vous emmène tard dans la nuit alors que vous deviez vous coucher tôt ! Interpellant, troublant, envoûtant… impossible à lâcher.

Enfin, que dire de l’illustration de couverture,  sinon que celle de Daylon pour Les Démons de Paris était somptueuse…?

Après une entrée remarquée dans le petit monde de l’Imaginaire français, Jean Philippe Depotte confirme ici tant son talent que son définitif statut d’auteur à suivre… et à lire.

Hervé LE ROUX

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