On avait découvert Olivier Paquet à la fin des années 90 dans les pages de Galaxies, où il publia une demi-douzaine de textes dont le très réussi « Synesthésie », Grand Prix de l’Imaginaire 2002 catégorie nouvelles. L’année suivante, Jacques Chambon publiait dans la collection « Imagine », chez Flammarion, son premier roman, Structura Maxima, qui vaut avant tout pour l’originalité de son univers, un monde clos empruntant son esthétique au mouvement futuriste italien du début du XXe siècle. Un démarrage prometteur, donc, mais depuis l’auteur semblait avoir mis de côté ses activités littéraires, et il aura fallu patienter huit ans avant de le retrouver en librairie.
Les Loups de Prague se déroule dans un futur indéterminé, à une époque où les nations ont disparu au profit de Villes-Etats. A Prague, une dictature militaire est en place depuis huit ans, appuyant son pouvoir sur une technologie de pointe. Vaclav, journaliste à la télévision locale, a rejoint un groupe de résistants baptisé VIRUS. Au cours d’une action terroriste qui tourne mal, il tombe sur des membres de la Guilde du crime, l’organisation qui régnait sur la ville avant l’arrivée de l’armée. Miroslav Vlk, leader du clan des loups, invite Vaclav à réaliser un reportage sur lui et ses hommes.
Dans un premier temps, la situation que nous décrit l’auteur semble familière, les rôles de chacun clairement définis : un pouvoir totalitaire d’un côté, une force d’opposition de l’autre. Mais, à travers le regard de Vaclav, on découvre au fil du récit des enjeux plus sibyllins et des protagonistes aux motivations plus ambiguës. Paquet s’intéresse en premier chef à la Guilde et aux différents clans qui la composent, en particulier celui des loups. Ses membres n’ont rien de révolutionnaires idéalistes : leur unique ambition n’est pas de libérer Prague mais d’en reprendre le contrôle afin de poursuivre leurs activités criminelles. La Guilde constitue une organisation complexe, obéissant à des règles immuables fondées sur l’honneur et une stricte séparation des rôles de chacun, et où les rapports de force entre ses différents composants aboutissent parfois à des règlements de compte sanglants. Les clans eux-mêmes sont structurés selon une hiérarchie précise, et ses membres empruntent leur comportement à l’animal-totem qui symbolise leur groupe. La plupart des personnages que l’on croise sont ainsi réduits à quelques traits de caractères semblables, primaires, et l’auteur peine à les distinguer les uns des autres. Mais lorsqu’il accorde davantage de place à certains d’entre eux, comme c’est le cas pour Miroslav et sa compagne Plume, il parvient à leur donner une consistance bienvenue.
Les Loups de Prague souffre néanmoins de plusieurs défauts gênants, à commencer par son personnage central, Vaclav. Présenté dans un premier temps comme un grand reporter et opposant politique au régime en place, il se révèle très vite être un individu veule, fade, changeant de point de vue au gré du vent ou des pressions qu’il subit. Sa présence est d’autant plus agaçante que son regard candide sur les évènements n’apporte pas grand-chose à l’histoire et à la manière dont nous pouvons la percevoir.
Plus ennuyeux, le romancier gère assez mal les révélations concernant Prague et la manière dont les militaires l’ont transformée de manière radicale. L’auteur ne s’intéresse pas à ses habitants, vagues silhouettes atones à peine présentes dans le récit — même la femme et le fils de Vaclav n’ont aucune existence —, mais à la métamorphose de la ville en un organisme inédit. Très tôt dans le récit, l’auteur évoque l’existence du projet Gaïa, et l’on comprend que cette expérience est liée au drame personnel qu’a vécu le leader de la Guilde, la mort de sa fille. Mais la nature exacte de cette expérience et ses effets concrets dans toute leur démesure n’apparaissent que dans le dernier tiers du livre. Tout à coup, la ville cesse d’être le décor terne et anonyme décrit jusqu’alors, et l’écriture de Paquet se met au diapason, donnant une vision toute autre de cet univers. Dommage que ce changement soit si tardif. A croire que l’auteur lui-même, à force de tâtonnements, n’est parvenu à cerner le véritable propos de son histoire que dans ses derniers chapitres.
Les Loups de Prague n’est pas un mauvais roman, il a du rythme et quelques belles idées. Mais en l’état, il a un fort goût d’inachevé, et l’on reste sur l’impression d’être passé à côté d’un très bon livre.