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Les critiques de Bifrost

Critique parue en mai 1997 dans Bifrost n° 5

« Aboutir à une symbiose générale qui interdira à jamais le saccage par l'homme de son environnement ! Le pollueur crèvera de sa pollution ! Il pourra en suivre les contrecoups immédiats sur son propre organisme. Voilà comment nous donnerons aux choses des armes pour répondre aux agressions de l'home sapiens, voilà comment nous ferons des mondes naturels et manufacturés des combattants inertes… Des lutteurs immobiles ! »

Du plus pur Brussolo de la première période, parfaite expression de la technique de construction du Maître de… l'épouvante-policière-fantaisisteultraphobique (puisque, d'après les dires même de l'auteur, il n'écrit plus de Science-Fiction…). Les Lutteurs Immobiles, c'est une dystopie basée sur la perversion du mouvement écologique partant du postulat que, si les objets ont suffisamment d'importance pour qu'on se batte contre leur gaspillage, qu'adviendrait-il si un pouvoir (dictatorial, évidemment) leur accordait plus d'égard qu'à la personne humaine.

Notez au passage le glissement: d'un mouvement visant à protéger l'environnement et donc, par extension les hommes, en but à la consommation à outrance Brussolo tire le portrait d'une société vénérant les objets au point d'en sacrifier ses enfants. Un univers doublement piégé donc : on pourra dès lors faire son deuil d'une quelconque morale à tirer de cette « fable écologique ambiguë. »

Reste l'intérêt dramatique du récit, et l'insidieux sentiment d'épouvante qu'il distille à travers l'histoire de ce pauvre David (décidément passé à toutes les sauces chez cet auteur) condamné, pour avoir démoli un magasin de porcelaine, à être couplé à un mystérieux objet caché quelque part près de son pavillon de campagne.

Incontestablement ici, au travers de cette espèce de prise d'otage de malheureux condamnés, le savoir-faire de Brussolo rivalise d'efficacité. À ceci près que les condamnés suscités semblent unanimement faire la même erreur de raisonnement : ce n’est pas à un objet qu'ils ont été couplés, mais bien à l'ordinateur chargé d'orchestrer leurs tourments. De même dans la première partie du roman, ce ne sont pas les objets qui veillent Videsco, mais les humains qui ont installé les mouchards en question — or le roman s'attardera à peine sur l'édifice dictatorial humain, source de tant de tourments : le propos est ailleurs. Voilà donc où situer la différence entre Les Lutteurs Immobiles et un récit comme, par exemple, 1984 d'Orwell (ou encore le film Brazil, de Terry Gilliam).

Car en fait d'« univers piégé », c'est à un édifice logique en trompe-l'œil lecteur a affaire : chaque élément trouve son origine dans le postulat perverti du règne des lutteurs immobiles, et l’ensemble ne maintient sa vraisemblance que dans l'effort narratif pour contrarier les ressorts naturels d'une société, de la psyché et de la biologie humaine. Des ressorts qui, d'ailleurs, seront libérés au final du roman. Bref, c'est complètement artificiel mais efficace, sans conteste aucun réussi au de vue du simple plaisir de la lecture.

David SICÉ

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