A première vue, on pourrait naïvement penser que l’absence d’idées originales aurait quelque chose de vaguement handicapant pour un écrivain. Hélas, il suffit de jeter un œil à la majeure partie de la production annuelle en fantasy pour rapidement se persuader du contraire. Et ce n’est certainement pas Lev Grossman (le frère d’Austin, auteur d’Un jour, je serai invincible (Calmann-Lévy), également traduit par Jean-Daniel Brèque) qui va faire mentir cette réputation, lui qui, avec son troisième roman Les Magiciens, pompe à droite à gauche avec l’abnégation d’un Shadock.
Le projet de base est en effet d’une simplicité remarquable : selon les mots du New York Times, cité en quatrième de couverture — et c’est bien sous cet angle qu’a été vendu le bous… bouquin —, il s’agit de livrer « un Harry Potter pour adultes ». Drôle d’idée… Après tout, le sorcier binoclard britannique a suffisamment montré qu’il pouvait être lu aussi bien par les pitinenfants que par leurs parents. En quoi cela peut-il donc bien consister, « un Harry Potter pour adultes » ? Eh bien, selon Lev Grossman, cela consiste en gros à plagier peu ou prou J. K. Rowling sur 300 pages (qui condensent cinq années d’études ; oui, c’est du Potter en digest…), en les saupoudrant d’un soupçon de drogue, d’une cuillère d’alcool, et d’une louche de pénibles coucheries adolescentes et des jalousies qui vont avec, mollement partouzardes pour la forme, et en définitive très racoleuses. TU LA SENS MA GROSSE SUBVERSION ? Ben, pas vraiment, en fait ; d’autant que l’auteur, en définitive, échappe assez difficilement à un certain moralisme et, en prime, à un certain machisme pour le moins consternant. Donc, en fait « d’Harry Potter pour adultes »… Disons pour ados aux hormones en ébullition, à la limite. Et encore.
Pour le reste, nous sommes en terrain connu. Le livre premier (près de 300 pages, donc) est une resucée pure et simple de la série à succès précitée. Tout y est, et deux allusions pas très fines y sont même faites (pp. 171 et 245). Nous suivons donc Quentin Coldwater au cours de ses cinq années d’études à Brakebills, l’Université des magi-ciens (oui, décalage d’âge oblige). On y joue à la bourbasse au lieu du quidditch. Pour le reste, c’est la même chose. Les cours, les amis, les amours, les disputes… Certes, il n’y a pas cette fois l’idée d’un élu, et l’ombre de Voldemort ne plane pas sur l’école (même si nous en avons une sorte d’ersatz), mais c’est à peu près tout. Sinon, tout pareil ; à la limite du plagiat, ou si vous préférez du foutage de gueule. Avec beaucoup moins d’intérêt que l’original, cela va sans dire : en 300 pages, on n’a pas le temps de développer un univers aussi construit et cohérent (à vrai dire, Lev Grossman, sous cet angle, ne développe rien du tout) ; et on ne manquera pas de regretter le côté british de l’institution, mal transposé aux Etats-Unis, où le traditionalisme de Poudlard cède la place à un éloge de la compétition au moins aussi nauséabond, si ce n’est plus…
Restent 200 pages à combler. On commence par du sexe, de la drogue, et sans doute du rock’n’roll, pour montrer que, attention, on n’est pas dans Harry Potter, hein, mais dans un roman adulte. C’est lourd. Très lourd.
Puis l’on passe à la seconde véritable partie du roman, qui se rattache grossièrement à la première. Quentin, dans son enfance — et au-delà — était un fan absolu des Chroniques de Fillory, une série de fantasy en cinq volumes. Bien évidemment, il va découvrir que Fillory existe réellement, et que les Chroniques disaient la vérité. Pompage, phase deux : cette fois, c’est semble-t-il essentiellement « Narnia » qui trinque, avec une grosse louche de Magicien d’Oz, et un soupçon d’Alice au pays des merveilles. Le tout traité comme une parodie d’une mauvaise partie de Donjons & Dragons, avec un total manque de respect pour le sujet et les lecteurs. Les rebondissements gros comme une maison abondent, parfois téléphonés, d’autres fois simplement too much. Et le lecteur s’ennuie ; à peine si son intérêt s’éveille quelque peu dans les passages les plus sombres de ce périple à Fillory. Mais rassurez-vous (ou désespérez) : ce n’est que passager ; d’ailleurs, Lev Grossman serait en train de « travailler » (?) sur une suite…
Le plus fort est sans doute qu’il y ait eu des critiques pour trouver ça « luxuriant et inventif… original et passionnant », comme le proclame fièrement la quatrième de couverture, encore, citant cette fois le Washington Post. Pas compris…
Si l’on ajoute à cela des personnages tous plus agaçants les uns que les autres (dans le mauvais sens du terme), épais comme une feuille de papier OCB et dotés de la psychologie d’un hamster, plus un style quelconque perclus de traits jeunistes (on ne compte pas les « cool » et les « look »), le bilan est vite vu : allez, hop, poubelle.