Ellio POSOZ
LA VOLTE
288pp - 12,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Tout commence par une rupture, amoureuse, intime, dont le bouleversement poussera notre personnage principal à entamer une migration à vélo vers un lieu où vivre la saison suivante. Ce récit de voyage, à la seconde personne du singulier, nous est conté depuis l’Amoureraie, lieu de départ et foyer, à la faveur de lettres envoyées au cours du périple. On y lira aussi bien une reconstruction intime qu’une exploration de types de sociétés coexistant (plus ou moins bien) sur un même territoire : l’Hexagone, d’ici quelques décennies, dans un contexte post-pétrole.
Le début du périple est presque paisible, malgré les alertes météos de GaIa égrainant les conditions climatiques. Ce qui permet de s’acclimater avec ce quotidien ni post-apo ni trop lointain, et ses différentes communautés d’appartenance qui ponctuent le territoire. Ainsi comprend-on peu à peu comment peuvent se lier des façons de vivres en anarchie au sein de l’horhizome. Au fur et à mesure de ce roman publié dans une collection de novellas (on est chez La Volte, non ?), on en découvrira les principes fondateurs, moteurs : dans chaque communauté, quelle que soit la structure adoptée, l’objectif est une vie bonne, où chaque personne peut se nourrir, se loger, se soigner, s’adonner à ses propres activités autant que subvenir aux besoins de la communauté. Une existence apaisée et en lien avec son environnement, aussi cruel qu’il puisse être en des temps où l’impact du changement climatique se fait lourdement sentir. Un futur où la langue prend part intégrale au changement, à grand renfort de mots-valises et néologismes, explicités dans un lexique en fin d’ouvrage.
Cheminant de communauté en communauté, rafistolant son vélo, rencontrant nomades ou sédentaires, le protagoniste répare son cœur brisé au gré des rencontres et des imprévus climatiques. Peu à peu, il arrive jusqu’à des villes sclérosées qui émanent de notre société, capitalistes, à peine remises de la fin du pétrole, en proie à des systèmes de valeurs héritées aussi bien du libéralisme que de Donjons & Dragons (oui, oui !), où la répression et la méfiance font système. Des villes sources d’une incompréhension violente quand on n’a connu que l’entraide et la communauté, sans devoir subir au quotidien des sanctions arbitraires liées à sa couleur de peau, son genre, sa provenance géographique ou politique.
Cette épaisse novella propose donc un parcours initiatique qui questionne la capacité de changement individuel et des sociétés que nous composons, créons, réformons. Riche d’idées, la lecture peut se trouver ralentie par l’abondance de néologismes et d’expériences de langage, mais l’expérience littéraire s’inscrit ici dans un écosystème de pensée, largement crédité au fil du texte comme du paratexte. Le récit attachant, bienveillant, met en scène un personnage qui découvre un autre monde — le capitalisme —, qui constitue un évident clin d’œil au Shevek des Dépossédés d’Ursula K. Le Guin. Un récit qui rappelle aussi les expériences collectives que sont les livres Bâtir aussi ou Subtil béton (cf. Bifrost n°106), et par son travail sur la langue les plumes et voix au catalogue de La Volte.
Reste une question en suspens à la fin de cette lecture à qui s’adresse ce livre ? Un public déjà convaincu qui y trouvera un certain réconfort, un public curieux de ces futurs désirables mais qui risque d’en sortir un peu étourdi, ou plus simplement un grand public curieux de possibles offerts par la littérature ? Quoi qu’il en soit, si un rhizome se plante, il peut ensuite se multiplier seul, fournissant une réserve d’énergie plus vaste : c’est tout ce que nous souhaitons aux projets qui inspirent et que porte Les Mains vides