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Les critiques de Bifrost

Les Maîtres du temps

Stéphanie JANICOT
ALBIN MICHEL
304pp - 20,90 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Benjamin est chercheur en physique théorique, tendance théorie du tout, tandis que sa compagne, Sam, entreprend une thèse de philosophie sur la notion du temps. Ils ne sont donc pas plus étonnés que ça lorsque, suite à une expérience ratée au synchrotron de Saclay, la jeune assistante d’Isaac Newton, qui vivait jusqu’alors au XVIIe siècle, débarque à leur époque. Au même instant, un homme qui avait disparu en mer réapparait également après un bond temporel de 50 ans et retrouve son écrivaine de fille, laquelle a consacré l’ensemble de sa carrière littéraire à cette disparition.

S’emparant d’une intrigue ultra-rebattue de la science-fiction, Stéphanie Janicot propose un roman qui n’apporte pas grand-chose de neuf au thème du voyage dans le temps. Sur le plan scientifique, les explications sont simplistes (dans sa postface, Jean-Pierre Luminet les qualifie avec mansuétude de « totalement invraisemblables »). Plus gênant, pour un roman de littérature blanche, elle ne s’embarrasse guère de construire des personnages à la psychologie crédible. Qu’ils soient ballottés d’une époque à l’autre ou confrontés à l’apparition de contemporains de Newton, les protagonistes encaissent ces bouleversements avec calme, s’adaptent à une vitesse phénoménale à leur nouvelle situation, et tout ce petit monde parvient sans difficulté à cacher au reste de l’Humanité que le voyage dans le temps est devenu possible.

Si l’autrice ne ménage pas l’incrédulité de ses lecteurs, c’est qu’elle est trop occupée à inventer la science-fiction. N’en ayant visiblement jamais lu, elle enchaîne tous les « tropes » (comme dirait un célèbre philosophe du XXIe siècle) du genre comme si elle les découvrait : micro-trous noirs, téléportation, univers multiples, couloirs temporels, trous de vers, la théorie des cordes, le Triangle des Bermudes (sic) ou encore la mécanique quantique. Le résultat est assez consternant, et même les passages plus « philosophiques » du roman, où sont discutés les effets du temps sur nos existences, la vie, la mort… sonnent plutôt creux. On s’étonnera aussi de la disparition pure et simple de l’un des deux fils de l’intrigue (le retour du marin disparu dans le Triangle des Bermudes), comme si l’autrice, elle-même gênée par l’accumulation des invraisemblances, avait fini par renoncer. Seule la dernière partie, située dans un futur dystopique, apporte un peu d’originalité au roman, mais la société qu’elle imagine est trop succinctement décrite pour récupérer l’intérêt du lecteur.

Symptomatique d’une tendance qui pousse des auteurices de littérature blanche à s’aventurer sur les terres de science-fiction sans rien y connaître, Les Maîtres du temps n’apporte rien à un lectorat familier de ce domaine et semble bien incapable d’attirer des lecteurs et lectrices de littérature générale vers les genres de l’Imaginaire. On ne retiendra de cet ouvrage que la postface de Jean-Pierre Luminet : comme à son habitude, l’astrophysicien parvient à rendre claires et accessibles des notions complexes.

 

 

 

Jean-François SEIGNOL

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