[Critique commune à La Parallèle Vertov et Les Manuscrits de Kinnereth.]
Frédéric Delmeulle était apparu en 2007 avec le roman Nec Deleatur, paru chez un petit éditeur (EditeurIndependant.com) mais néanmoins remarqué par certains critiques (notamment Laurent Leleu, pp.70-71 du Bifrost n°50). Passablement réécrit, ce livre est republié chez Mnémos sous un autre titre tout aussi intrigant, La Parallèle Vertov ; cette réédition devrait lui permettre de toucher un public plus large, et ça n’en est que justice car il s’agit d’un roman très intéressant et rondement mené. En 1910, trois frères sont tués en Angleterre ; ces meur-tres marquent le point de départ d’une enquête menée par des journalistes qui vont plonger dans les tourments d’une guerre de succession qui s’étend sur plusieurs décennies, et qui verra certains des héritiers augmenter leur fortune par le biais d’un pacte avec le parti nazi. En 1993, un homme prend possession d’un sous-marin, le Vertov. Enfin, de nos jours, Child Katouchas aperçoit sur des images d’archives datant de 1910 son oncle… avec son apparence actuelle ! Toutes ces trames vont bien évidemment se rejoindre pour tracer une histoire singulière faite de voyage dans le temps. Le lecteur sera ainsi promené à diverses époques, en commençant par 117 et la mort de l’empereur Trajan. Delmeulle est professeur d’histoire-géographie, aussi son solide bagage de connaissances lui permet-il d’asseoir tranquillement la progression de ses personnages au sein d’un univers parallèle qu’ils provoquent, puis subissent. Astucieux, tant dans son propos que dans sa construction, agrémenté d’un humour omniprésent dû aux protagonistes, ce livre se lit d’une traite, même si parfois les exposés « techniques » plombent clairement le rythme.
Ce défaut est corrigé dans le tome suivant de ce qu’il convient désormais d’appeler Les Naufragés de l’Entropie, Les Manuscrits de Kinnereth, inédit cette fois-ci et publié quelques mois plus tard par Mnémos. Davantage porté sur l’action — même si le premier tome n’en était pas dépourvu, loin de là —, ce livre part une nouvelle fois d’un mystère. Mais là où il s’agissait d’une énigme policière dans La Parallèle…, il s’agit de théologie ici : des manuscrits sont retrouvés à Kinnereth — dont la mer est en fait le lac de Tibériade —, qui, s’ils sont authentiques, risquent fort d’ébranler les bases de l’histoire religieuse. Ils datent en effet de la fin du Ier siècle et ont été rédigés par un disciple du Christ. Ce roman ne constitue pas une suite directe du premier volume, puisque c’est désormais l’ex-compagne de Child, disparu depuis dix ans, qui tient le rôle principal. Chercheuse en histoire, elle se voit confier ces manuscrits, et devra mettre en œuvre ses facultés de réflexion pour retrouver les traces du Vertov et de Child, sans savoir s’il est encore vivant… Elle sera accompagnée pour ce faire de plusieurs membres de sa famille hauts en couleurs, et de Masterson, un agent des services secrets dont les motivations restent obscures. Combinaison de mystère religieux des origines et de voyage dans le temps : on pense inévitablement à Voici l’homme, de Michael Moorcock, et Delmeulle ne se prive du reste pas d’y faire référence. Néanmoins, là où le roman de l’écrivain anglais était ouvertement un pamphlet théologique, celui de l’auteur français se veut plus léger, plus tourné vers le suspense et les paradoxes temporels. Comme on l’a dit, ce tome est mieux équilibré que le précédent, et suit exactement le même chemin : une lecture délassante, sympathique plongée dans les méandres du temps, par un auteur qui prend visiblement plaisir à tordre le cours du temps selon son imagination. Par ce diptyque, Frédéric Delmeulle fait une entrée remarquée dans le milieu de l’imaginaire francophone