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Les critiques de Bifrost

Mémoires de l'Homme-Éléphant

Mémoires de l'Homme-Éléphant

Xavier MAUMÉJEAN
LE MASQUE
286pp - 9,20 €

Bifrost n° 26

Critique parue en avril 2002 dans Bifrost n° 26

[Critique commune à Les Mémoires de l'homme-éléphant, Gotham et La Ligue des héros.]

« Xavier Mauméjean, né en 1963, est diplômé en philosophie et en science des religions, il fait partie de l'étrange Club des Mendiants Amateurs de Madrid et a reçu le prix Gérardmer 2000 pour Les Mémoires de l'Homme-éléphant. » La parution de La Ligue des Héros chez Mnémos est l'occasion pour votre revue préférée de revenir sur cet auteur trop discret qui habite Valenciennes avec sa femme et leur fille.

En 1980, David Lynch s'était emparé du personnage historique réel de John Merrick pour son magnifique Elephant Man. Vingt ans plus tard, Xavier Mauméjean transforme cet homme accablé par la maladie et les difformités en enquêteur surdoué. Il nous plonge dans le Londres de 1890 où, du fond de sa chambre d'hôpital, entre deux examens et un gala de bienfaisance victorienne, Joseph Carey Merrick mène des enquêtes policières avec l'aide de quelques amis ou membres du personnel soignant. Le résultat est époustouflant (à l'exception de la deuxième enquête centrée sur la haute-finance, la plus faible des quatre). C'est avec émerveillement et effroi que l'on pénètre l'esprit de Merrick à la poursuite des assassins londoniens, c'est avec ce même émerveillement mêlé d'effroi que l'on contemple sa chair torturée et exposée, la foire des petites gens est devenue celle des riches. Tout au long de ce roman, l'écriture de Mauméjean s'impose, inventive, somptueuse de bout en bout, sans être le moins du monde ampoulée. L'érudition est au rendez-vous, tapie sous chaque mot, omniprésente mais en rien pesante.

Après les démences de Londres, l'auteur nous emmène à New York, surnommée Gotham, pour une visite de la Grande Babylone avant la chute de ses tours. On y suit tout d'abord la mort du publicitaire Rudy Bernstein — il s'est fait exploser la tête entre les mâchoires d'un étau ; la métaphore évoque Leviathan de Hobbes, l'état qui broie/dévore les individus... Mais ce n'est pas Bernstein qui intéresse Mauméjean ; ce dernier concentrant son récit sur un autre publicitaire, Jonathan Pike, un tueur, comme l'on dit dans la profession, un requin de la publicité qui n'a peur ni des eaux limpides ni des eaux troubles. Quoique... Profitant de l'absence de sa petite famille pour le week-end, Jonathan s'est mis en tête (alors que d'autres se la font exploser) de refaire sa salle de bain. Sur fond de réélections à haut risque et de campagne publicitaire pour un sent-bon de luxe, Samarkand, un combat à mort se prépare. Il va opposer Una Sander, l'ethno-psychiatre de l'agence publicitaire, à Jonathan Pike, le papa bricole plein aux as qui plonge peu à peu dans la psychopathie et a transformé son loft de cinq cents mètres carrés en jungle birmane. Inconsciemment, vingt-cinq ans après la chute de Saigon, l'Amérique replonge dans sa plaie préférée, la guerre du Viêt-Nam.

Gotham est un projet littéraire d'une limpidité désarmante ; avec ce roman, Xavier Mauméjean a voulu écrire l'American Psycho des années 2000. Belle ambition, mais là où Bret Easton Ellis était gonflant en permanence (vingt pages sur les gommages pour peaux sensibles ou les cartes de visite ivoire, c'est dix-neuf de trop à chaque fois), Mauméjean se contente de construire son bouquin n'importe comment et ne réussit véritablement que les cent dernières pages, celles où, dans l'épure, s'affrontent physiquement et psychologiquement Una et Jonathan. Face à ce roman raté mais passionnant par intermittence (ah, la réparation de la salle de bain aux conséquences cataclysmiques !) le chroniqueur ne peut que vous inviter à lire les deux Leviathan, celui de Hobbes et celui, remarquable, de Paul Auster.

Pour son troisième roman, La Ligue des héros, Xavier Mauméjean nous renvoie à Londres faire une ballade psychédélique en compagnie de Lord Kraven et des autres membres de sa ligue héroïque, tantôt en guerre contre Peter Pan et les Fées, tantôt en guerre contre les troupes du Kaiser. Voilà un hommage jubilatoire à Alan Moore et Jerry Cornélius qui rappelle le cycle de Kim Newman entamé avec Anno Dracula ; à ceci près que là où Newman se contentait d'utiliser d'innombrables personnages historiques pour tenter de masquer la vacuité de son propos, Mauméjean nous invite, lui, à un feu d'artifices d'idées, de réflexions et d'images. La Ligue des héros est une uchronie riche, exigeante, magnifiquement écrite, du niveau de La Cité entre les mondes de Francis Valéry (Denoël) ; elle aurait probablement gagné à être moins bordélique, mais la fin explique ce fouillis permanent qui, à défaut d'être légitime, n'est pas franchement gênant.

Avec ces trois romans, Xavier Mauméjean nous emmène, de Londres à New York, à la rencontre des mythes victoriens et des ogres des temps modernes : les publicitaires. L'écriture est parfaite, les constructions romanesques ne le sont pas encore, néanmoins une telle ambition doit être récompensée. Vous savez donc, chers lecteurs, ce qu'il vous reste à faire...

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