Nicolas TEXIER
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
272pp - 19,90 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Troie est tombée depuis longtemps. Ulysse et les autres survivants sont rentrés chez eux, auréolés de gloire et d’histoires fourmillantes d’aventures, de héros, de péripéties, d’êtres divins. Des récits qui parviennent jusqu’à Psili, petite île de la mer Égée où vivent, entre autres, trois jeunes filles un peu isolées du reste de la communauté : Lyra, Ényô et Agamê. Quand arrive un mage mystérieux, elles se laissent entrainer dans une nuit d’abandon mystique. Et bien leur en prend, puisque, pendant leur absence, des pirates rasent leur village et emmènent la population en esclavage. Elles partent donc, malgré leur jeune âge et leur manque d’expérience, à la poursuite de ces Thébains meurtriers.
Délaissant le XXe siècle et les services secrets britanniques de la trilogie « Monts et merveilles », Nicolas Texier se plonge dans l’un des univers mythologiques les plus balisés, celui des dieux grecs, des satyres, des ménades, des cyclopes et des Lotophages, tout un bestiaire tiré de l’Iliade et de l’Odyssée d’Homère, vastes poèmes au souffle épique. C’est sur ses pas que s’embarque l’auteur français avec un long voyage reprenant quelques étapes d’Ulysse lors de son périple de retour. Nicolas Texier veut faire revivre l’ambiance, l’atmosphère de ces pays baignés de mystères où l’on peut croiser, au détour d’un chemin, un être divin. Ou du moins le croire. Car divinités et assimilés ne se montrent pas aisément aux humains. Elles jouent avec eux, sans franchise, sans se dévoiler, sures de leur supériorité.
Face à ces puissances, les trois jeunes filles ne font pas le poids. Mais elles suivent le destin tracé pour elles avec une assurance crasse. Elles font fi de la place qu’on leur avait assignée : femme au foyer soumise à son futur époux, femme rejetée par la communauté tout juste bonne à être violentée derrière un bosquet, sœur victime d’un frère violent. Les thèmes abordés en marge du récit sont forts et actuels, tant, à la différence de son modèle grec, ce roman met en scène des femmes, et il le fait vraiment. Les trois Ménades, puisqu’il s’agit d’elles, prennent leur chance dans le malheur qui les frappe. Elles décident, jouent leur vie, se découvrent et mettent en valeur leurs particularités, leurs forces. Et tout cela dans la bonne humeur — une bonne humeur teintée de sang. Car Nicolas Texier partage le goût d’Homère pour la violence, et l’on assiste à quelques scènes bien gores, à grands renforts de membres découpés.
Les Ménades est un plaisant récit d’apprentissage reprenant avec un certain succès les topoï de l’œuvre homérique (aidé en cela par l’utilisation de certains noms directement transcrits du grec, donc aux sonorités plus évocatrices), mais au rythme parfois bancal et qui peine à trouver son ton sur le long terme. Il hésite entre le roman pour jeune adulte et le mythe cruel et sans pitié, laissant son lecteur par moments circonspect. Restent une lecture agréable et une plongée érudite dans l’antre des dieux.