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Les critiques de Bifrost

Les Meurtres de Molly Southbourne

Les Meurtres de Molly Southbourne

Tade THOMPSON
LE BÉLIAL'
136pp - 10,90 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Depuis sa petite enfance, Molly suit le commandement de ses parents : « Ne saigne pas. » Et si cela advient, elle doit éliminer son sang par le feu ou les détergents, avant que n’apparaissent les mollys, des doubles d’elle-même qui cherchent à la tuer. Ainsi, « son propre sang » désigne à la fois l’enfant que les parents protègent, et Molly qui doit se protéger d’elle-même. Pour se faire, un père pragmatique, et une mère qui semble issue des forces spéciales soviétiques, vont lui apprendre à survivre, autrement dit à se battre. Et puis il y a la vie, les rencontres, des hommes et quantité de mollys qui vaudront à l’héroïne nombre de rapports, faits de méfiance et d’interrogations, parfois autoérotiques, tous soldés par la violence.

La collection « Une heure-lumière » a cette qualité rare de proposer des textes courts qui, imprimés dans la mémoire, laissent un souvenir aussi fort que nombre de romans. Cette fois, la barre est placée à ce point haut que seule l’athlète nigériane Doreen Amata est capable de la franchir, ou, dans la compétition littéraire, l’écrivain et psychologue Tade Thompson.

Avec Les Meurtres de Molly Southbourne, l’auteur parvient en effet à donner une compréhension inédite à des expressions ordinaires, telles « Tu es ton pire ennemi », ou « Méfie-toi de toi-même ». Avec ici, une écriture nerveuse, qui alterne scènes d’action et moments réflexifs. Les doubles de Molly, par définition intimement proches, se tiennent dans une altérité radicale, et l’on pense au mot de Paul Valéry : « Aime ton prochain comme tu t’aimes toi-même, si le moi est haïssable, deviens une atroce plaisanterie. »

Par ailleurs, l’auteur appartient à l’ethnie yoruba, qui connaît le plus haut taux de naissances gémellaires au monde. On ne s’étonnera donc pas que la gémellité en soit un repère symbolique majeur. De fait, dans la culture yoruba, les jumeaux partagent une même âme, la mort de l’un d’eux met en danger le survivant, c’est pourquoi l’on confectionne l’ibeji, figurine destinée à recevoir l’esprit du défunt, et qui est élevée avec le jumeau restant. À titre d’hypothèse, peut-être Tade Thompson s’est-il inspiré de cette riche tradition qui est la sienne pour produire une œuvre originale et forte, un texte fascinant et indispensable, sans préjuger de la suite annoncée.

Il y a un avant et un après Tade Thompson dans l’Imaginaire.

Xavier MAUMÉJEAN

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