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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Actes Sud met les bouchées doubles en cette fin d’année : le premier recueil des nouvelles complètes de Liu Cixin était paru en février, et voilà déjà le deuxième. Dix-sept récits pour continuer à parcourir le monde selon l’auteur chinois. On y retrouve ses thèmes fétiches : plus encore que dans L’Équateur d’Einstein, le gigantisme est partout présent. Quand l’auteur cryogénise une partie de la population mondiale pour soulager un peu la pression, ce ne sont pas des centaines, mais des millions d’êtres humains qui sont mis de côté ; quand un extraterrestre joue de la musique, c’est avec… les astres. Liu Cixin voit grand et collectif. Les individus en tant que tels sont rarement pris en compte. D’ailleurs, il est difficile de s’attacher vraiment à ses personnages, sauf à de rares exceptions, comme dans « Les Bulles de Yuanyuan ». La plupart du temps, à l’instar des contes, l’auteur nous offre des silhouettes : le politicien, l’artiste, le savant. À nous de combler les vides.

Mais cela n’enlève rien au côté magique des visions proposées par l’écrivain chinois. Il a une formidable capacité à se projeter vers un avenir très éloigné de notre quotidien, mais proche par ses préoccupations. L’âge et la vieillesse, par exemple, sont abordés plus ou moins directement dans nombre de textes. Que ce soit le centre des préoccupations des personnages, ou juste un état de fait ancré dans la réalité décrite par l’auteur. La pauvreté, aussi, revient souvent, elle qui s’oppose à la richesse insolente de certains. Quand, dans « 1er avril 2018 », les progrès de la technologie ne sont réservés qu’à une élite, choisie pour sa fortune et non pour sa valeur. Allant plus loin encore, Liu Cixin convoque des êtres venus d’une autre planète afin de nous alerter sur le danger de continuer dans cette voie délirante d’égoïsme – « Prendre soin des hommes ». Climat et pollution ont aussi droits à leur lot d’alertes : régions entières désertées faute d’eau courante, villes abandonnées (« Les Bulles de Yuanyuan »), pollution omniprésente (« Les Migrants du temps »). Rien n’échappe à son constat amer. Mais positif, car il n’imagine pas que l’humanité abandonnera : toujours en lutte, toujours en recherche d’une solution. Même si cette dernière peut s’avérer pire que le mal. On ne pourra pas accuser Liu Cixin de candeur ou de naïveté.

Bonne idée de cadeau de Noël, Les Migrants du temps offrent un panorama plus homogène que le premier opus, tant par la qualité que par les thèmes, du travail de la star chinoise, et nous prouvent sa valeur en tant que novelliste. D’ailleurs, pour les plus jeunes (ou non), les éditions Delcourt proposent de leur côté « Les Futurs de Liu Cixin », une série de BDs adaptant certaines nouvelles de ces recueils. Le combo gagnant !

Raphaël GAUDIN

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