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Les critiques de Bifrost

Les Miracles du bazar Namiya

Les Miracles du bazar Namiya

Keigo HIGASHINO
ACTES SUD
384pp - 22,80 €

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

Keigo Higashino, connu pour ses romans policiers, œuvre dans un autre registre avec Les Miracles du Bazar Namiya, qui relève plutôt du fantastique – voire de la SF, avec sa thématique de voyage dans le temps. Ceci de la part d’un écrivain qui a, en vérité, plus qu’à son tour flirté avec l’Imaginaire, en termes d’ambiance (La Maison où je suis mort autrefois) ou en raison de la place occupée par la science dans ses enquêtes (la série du physicien Yukawa). Mais le présent roman saute le pas – et tranche aussi sur le reste de la production de l’auteur par son côté… lumineux ? Dont la couverture très anime donne le ton…

2012. Trois jeunes délinquants, pas des plus experts dans leur domaine, se réfugient dans un bazar abandonné après un coup qui a foiré. Or, tandis qu’ils patientent, une enveloppe est glissée dans la fente du rideau de fer de la boutique… Ils lisent la lettre, dans laquelle une jeune femme demande au propriétaire du bazar de bien vouloir la conseiller sur un problème épineux. Les délinquants découvrent bientôt que le vieux du bazar répondait à toutes les demandes de conseil avec le plus grand sérieux, en déposant ses suggestions dans la boîte à lait à l’arrière de la boutique. Les intrus jouent le jeu, et répondent… et une autre lettre tombe aussitôt par la fente du rideau de fer. Bientôt, ils se rendent compte qu’il y a plus bizarre encore : ces lettres semblent parvenir… du passé ?

Et inversement. Car la suite du roman, au fil de différentes parties consacrées à autant de personnages et de dilemmes, nous fera voyager à travers une bonne cinquantaine d’années, et ce dans le désordre – le boycott des Jeux olympiques de Moscou, la Beatlemania, la bulle spéculative, l’apparition d’Internet et des téléphones portables… Quel que soit le contexte, il y a toujours des gens qui doutent, confrontés à des choix de vie d’une importance capitale – des gens qui ressentent le besoin de demander conseil au Bazar Namiya. Leurs échanges avec le Bazar bouleversent leurs vies – que l’auteur des réponses soit le vieux bonhomme qui a lancé l’affaire… où trois jeunes gens paumés, en 2012, pas exactement de ceux que l’on jugerait aptes à donner les conseils les plus probants.

Il y a indéniablement un aspect feel good dans ce roman, très bienveillant à l’égard de ses personnages, et prônant cette même bienveillance, cet altruisme insoupçonné, sous les façades les plus rêches. C’est parfois rafraîchissant, mais aussi, avouons-le, çà et là à la limite de la niaiserie. Ce qui n’empêche pas l’auteur de se montrer subtil – ne serait-ce que dans l’exposition des dilemmes affectant les personnages. Le contexte social ou sociétal y occupe une place importante, qui rend les interrogations des personnages plus rudes – l’occasion d’évoquer bien des thèmes dressant un portrait plus sombre de la société japonaise et de son évolution (ce qui faisait la force d’un autre roman de l’auteur, La Lumière de la nuit) ; ainsi des relations entre les générations, du patriarcat, de l’égoïsme associé à la bulle spéculative – on appréciera tout particulièrement la séquence liée aux Beatles, qui traite de la thématique de « l’évaporation » de manière très émouvante. Car oui, ce roman peut se montrer très touchant, et l’humanité des personnages en est une force.

Le métier de Keigo Higashino en est une autre. Si son style est simple, voire simpliste, il ne fait aucun doute qu’il sait raconter une histoire — et complexe, avec ça. Les paradoxes classiquement associés au voyage dans le temps se mêlent à une mécanique bien huilée dérivée du policier, pour dessiner un récit biscornu mais à bon droit, et bientôt palpitant, riche en coïncidences troublantes et en mystères parfois insolvables, où les causalités les plus étonnantes, et les rétroactions, produisent un schéma narratif déroutant et pourtant étrangement clair – sans doute parce qu’il l’était pour l’auteur.

Plutôt une bonne pioche, donc, que cette excursion imaginaire de Keigo Higashino – un roman en forme de fable qui n’est pas sans défauts, mais s’avère plus subtil et profond qu’il en a tout d’abord l’air… et plus palpitant, aussi.

Bertrand BONNET

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