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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81

Même si l’œuvre de Christian Chavassieux entretient des rapports avec l’Imaginaire depuis longtemps (Le Baiser de la nourrice), il s’était fait remarquer des lecteurs du genre avec le très bon Mausolées (Mnémos), qui oscillait entre atmosphère kafkaïenne et anticipation politique. Le voici de retour avec Les Nefs de Pangée, ambitieux pavé de fantasy.

Le Pangée du titre, c’est bien ce continent unique que nous connaissons, mais peuplé de gheém aux femelles ayant besoin, pour procréer, de plusieurs mâles afin que chacun façonne une facette de la personnalité du futur enfant. Mais surtout, le peuple de Ghiom tente depuis des lustres de vaincre l’Odalim, cette créature mythique qui vit dans le gigantesque océan ceignant Pangée, victoire qui permettrait de garantir la prospérité du continent. Aussi, quand la neuvième chasse revient non seulement bredouille, mais en grande partie anéantie par le monstre marin, le mot d’ordre est donné : la dixième sera la plus grande expédition jamais tentée, avec un nombre énorme de nefs en provenance de toutes les parties de Pangée…

Ce qui frappe dès les premières pages, c’est la langue de Chavassieux (dont on apprendra sans réelle surprise qu’il est également poète). Précise, puissante, envoûtante, elle sert au mieux le propos de l’auteur. Car tout le livre est centré autour de la légende et de la mythologie : pas simplement leur existence en tant que telle, mais aussi les mécanismes qui vont présider à leur création. Dès lors, le roman dépasse le stade de « simple » roman d’aventure pour acquérir une envergure autrement plus intéressante, sans pour autant jamais renier ce prime aspect : en témoignent quelques scènes dantesques de combat maritime entre créature gigantesque et flotte monumentale. L’auteur déroule ainsi la légende sous nos yeux, mais aussi ceux d’Hammassi, jeune femme chargée d’accompagner la chasse pour en décrire les aspects, historienne à qui il est également demandé d’embellir les faits à destination des générations futures. Un personnage important, certes, mais comme tant d’autres au sein d’une distribution proprement impressionnante – sans que Chavassieux n’en néglige aucun : un tour de force.

Roman héroïque, Les Nefs de Pangée n’oublie pas non plus les intrigues de cour à mesure que les représentants des différentes régions tentent de pousser leur pion sur l’échiquier politique. Certains joueront d’ailleurs leur carte personnelle, pressentant que cette dixième chasse va marquer le monde qu’ils connaissent. Ils n’auront pas tort, car aux deux tiers le roman change radicalement d’orientation, une bascule qui, quand bien même l’auteur a pris soin de semer çà et là les germes de ce qui advient (et trouve un étrange écho dans l’actualité de notre propre année 2015), apparaît un peu trop brutale. Constat assez rare dans le cas d’un livre pesant déjà cinq cents pages bien tassées, mais on aurait aimé que Chavassieux consacre un peu plus de temps à préparer ce dernier tiers.

Roman épique, mais aussi politique, chronique d’un monde en changement, Les Nefs de Pangée confirme de manière éclatante le talent de Christian Chavassieux.

Bruno PARA

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