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Les critiques de Bifrost

Les Nomades du Fer

Les Nomades du Fer

Eleanor ARNASON
ARGYLL
500pp - 26,90 €

Bifrost n° 113

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

À l’exception de quelques spécialistes, qui, parmi le lectorat français, avait jusqu’à présent entendu parler d’Eleanor Arnason ? Hormis une nouvelle parue en 2020 dans l’anthologie de Gardner Dozois Sorciers et magie, elle n’avait à ce jour jamais été publiée en France. La dame n’a pourtant rien d’une débutante, puisque sa première publication aux États-Unis remonte à 1973, qu’elle a signé une demi- douzaine de romans et que, à 80 ans passés, elle écrit toujours des nouvelles qu’on retrouve ré­gulièrement au sommaire des best of annuels outre-Atlantique.

Ici, il aura donc fallu attendre 2023 pour enfin découvrir un premier roman, Les Nomades du fer, datant de 1991. Et quelle découverte ! Un planet opera s’inscrivant dans la droite lignée de la meilleure science-fiction anthropologique d’Ursula K. Le Guin. Une histoire certes classique, celle de la première rencontre entre une expédition humaine et une civilisation extraterrestre nomade, mais d’une formidable richesse. Eleanor Arnason y décrit une société fort éloignée des nôtres, où hommes et femmes vivent séparément, leur chemin ne se croisant qu’à la saison des amours. Eux mènent une vie solitaire, elles forment des clans qui se déplacent au fil des saisons. Ce n’est qu’une particularité parmi bien d’autres de cette société, que nous découvrons à travers les yeux de Lixia, la narratrice humaine de ce récit. Organisation sociale, développement technologique, linguistique, mythes et légendes, tabous et interdits, l’écrivaine passe en revue les différents éléments constitutifs de cette civilisation, sans oublier de s’attarder longuement sur son en­vironnement, sa faune et sa flore. Le roman est écrit dans un style naturaliste, des phrases courtes, descriptives, aussi factuelles que possible. Ce qui n’empêche pas Arnason de faire preuve, de temps à autre, d’un humour pince sans rire assez irrésistible.

Parmi les différentes interrogations soule­vées par cette histoire, la première est celle de la cohabitation entre ces deux civilisations. Est-elle souhaitable ? Est-elle seulement possible ? Du point de vue des humains, la prin­cipale crainte est de répéter les erreurs du passé. Pour les autochtones, la question est de savoir quels changements naîtront de cette rencontre. D’autres questionnements apparaissent au fil du récit, auxquels Eleanor Arna­son se garde bien d’apporter une réponse définitive, préférant laisser ses personnages débattre et se débattre dans des considérations éthiques et politiques, et le lecteur avec eux.

Enfin, au cœur du roman, il y a la relation que noue Lixia avec sa guide Nia, elle-même en marge de ses contemporaines et ainsi mieux à même de souligner certains travers de sa propre société. À travers elles deux, les grands thèmes qui traversent le roman prennent une tournure bien plus intime et personnelle.

Encore une fois, Les Nomades de fer est un roman d’une richesse inouïe, tant par l’univers qu’il met en scène que par les thématiques qu’il aborde. Si vous aimez la science-fiction d’Ursula Le Guin ou de Christian Léourier, impossible de passer à côté.

Philippe BOULIER

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