Sabrina CALVO
LA VOLTE
352pp - 19,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Si à l’évocation du titre du nouveau roman de Sabrina Calvo, le quinquagénaire frémit d’émotion, en proie à la nostalgie, l’esprit bouleversé par les images du clip tubesque du duo Voulzy-Souchon (sortez les chemises à col jabot, les choucroutes capillaires et les lunettes noires), pour Victoire, il n’en va pas de même. À vrai dire, pour la jeune pigiste du magazine de mode Jeudi, Les Nuits sans Kim Wilde et sa déclinaison visuelle qualité VHS sont un défi insurmontable. Dans le futur post-cyberpunk qui compose son quotidien, futur à venir et futur advenu (la faute à la fin de l’Histoire), Vic — on l’appellera désormais ainsi, comme ses intimes et collègues de travail — tire le diable Prada par la queue, en quête des nouvelles tendances qui ne manqueront pas de bousculer les routines de la fast fashion. L’identité de genre en vrac, sous le regard mesquin et jaloux des modèles de la « Maison » qui l’a adoptée, suite à son abandon au cœur du show room d’une grande enseigne de meubles et d’ustensiles de décoration low cost, elle s’efforce d’assimiler les codes de sa féminité toute fraîche. Rien de moins simple dans un monde botoxé où les pixels de l’Ouvert semblent de plus en plus indissociables de la réalité morose du Clos, l’univers matériel que tous cherchent à fuir. Elle ne renonce pourtant pas, se cherchant une identité stable et pérenne, avec l’aide de son assistante virtuelle Maria Paillette, IA jalouse comme une puce. Un combat peut-être perdu d’avance, à moins que Kim (Wilde) Sauvage ne parvienne à semer la confusion pendant la fashion week.
« L’Ouvert se ferme. L’Ouvert devient le Clos. L’âme du monde a été emprisonnée et tout le monde semble ravi. » Après Melmoth Furieux, Sabrina Calvo continue à explorer avec bonheur les coulisses du capitalisme mondialisé pour en dévoiler les arcanes toxiques et délétères. Un processus mortifère et silencieux dont les métastases colonisent jusqu’aux imaginaires. Dans une langue inventive et mutante, riche en trouvailles verbales à la sémantique floue, l’autrice taille dans les mots, créant des créatures textuelles étranges mais diablement séduisantes. Entre aliénation des esprits, domestication des corps et des désirs, Vic/Sabrina lutte contre le matérialisme de nos modes de consommation, avec rage et douceur, sans cesse sur le fil du doute. À l’instar de l’inconnue du clip de Voulzy, elle ne veut pas finir abandonnée sur le bord de la route, au profit d’une icône boostée aux hormones masculines. Se défiant des facilités du prêt à écrire et des recettes d’écriture, Sabrina Calvo dessine roman après roman une œuvre complexe à nulle autre pareille. Un patchwork à l’inventivité renversante, traversé de fulgurances poétiques chatoyantes. Au lecteur d’accepter de lâcher prise pour mieux y goûter. Il serait dommage de ne pas le faire.