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Les critiques de Bifrost

Les Oiseaux d'Argyl

Les Oiseaux d'Argyl

Christian LÉOURIER
ARGYLL
352pp - 24,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Après plus d’un demi-siècle de carrière, Christian Léourier se voit célébré par les éditions Argyll avec ce recueil de nouvelles qui, même s’il ne prétend pas être exhaustif, offre néanmoins une large sélection de vingt-sept textes, présentés chronologiquement. Et c’est sans doute son principal défaut. Car force est de constater que sa production des années 70, qui compose la première moitié du recueil, a fort mal vieilli, et qu’il faudra faire preuve d’une persévérance à toute épreuve et d’une bonne dose de masochisme pour parvenir à bout de ces histoires qui n’évitent aucun des clichés de l’époque, convaincues que de bonnes intentions et de bons sentiments suffisent à faire de bons textes (bouh ! pas beau la guerre, halala ! la solitude des grandes villes de béton, ouin ouin ! l’État-policier nous surveille, ad nauseam). Les rares nouvelles lisibles de cette époque ont la bonne idée d’aller puiser leur inspiration dans la science-fiction américaine des années 50, qu’elles mettent en scène des freaks extraterrestres on ne peut plus sturgeoniens (« La Roulotte ») ou d’amusantes premières rencontres avec des civilisations aliens qui tournent mal (« Point de vue », « Le Jour de gloire »).

Et puis, arrivé à mi-parcours, tout change. Sur le fond, les valeurs que défend Léourier et les combats qu’il mène demeurent identiques, mais désormais il sait leur donner une forme autrement plus enthousiasmante. Qu’il mette en scène une société ultra-capitaliste où les pauvres n’ont d’autre recours pour payer leurs dettes que de vendre leurs organes (« Toute chose à un prix ») ou qu’il dénonce les manœuvres d’un État pour assurer la pérennité de son système au détriment de ses citoyens (« Le Syndrome de Fajoles »), il le fait avec suffisamment de nuance et de chair pour emporter l’adhésion. Par ailleurs, ses nouvelles sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers l’ailleurs, vers un exotisme dans lequel on le sent particulièrement à l’aise et inspiré : un duel virant à l’obsession entre un explorateur terrien sur un monde inconnu et un gigantesque rapace (« Les Oiseaux d’Argyl ») ; l’évolution d’une société primitive qui connaît un brutal coup d’accélérateur (« Celui qui parle aux Morts ») ; et puis, surtout, cette sidérante communauté humaine qui s’est dévelop- pée à l’intérieur du corps de gigantesques mastodontes (« Les Hôtes »). Parmi les autres nouvelles qu’on conseillera volontiers, citons l’histoire de Peter Pan et ses Enfants perdus réinventés en loubards des années 60 (« Blues pour un garçon perdu »), l’impact des mésaventures d’un naufragé spatial sur une civilisation extraterrestre (« Ismaël, Elstramadur et la destinée »), sans oublier la suc- culente « Une Faute de goût », mêlant avec maestria diplomatie et gastronomie. Il aura fallu souffrir pour parvenir jusque-là, mais la qualité de cette seconde moitié l’emporte de loin sur la médiocrité de la première.

Philippe BOULIER

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