Les Oiseaux du temps nous arrive après avoir trusté les prix les plus prestigieux de la SF (Hugo, Nebula et Locus, entre autres), mais ce n’est pas parce qu’une scène se déroule dans une pièce où le papier peint est orné de motifs de Star Wars qu’il s’agit de science-fiction.
Nous avons ici en toile de fond une guerre temporelle et multiverselle dont Bleu et Rouge sont des soldates, des entités post seconde singularité, démiurgiques, anentropiques, à faire pâlir Francis Sandows de L’Ile des morts (Roger Zelazny). L’une appartient à l’Agence, l’autre à Jardin, des entités plus vastes s’évertuant sans fin, telles deux anti-Pénélope, à détisser l’œuvre de l’autre au sein d’un continuum d’Everett dont elles parcourent les brins et tresses d’aval et amont et retour telles des araignées gambadant dans leurs toiles.
Toute l’histoire se résume en une bluette homosexuelle entre Bleu et Rouge. Le reste n’est que barbouillage.
La novella se présente sous forme semi-épistolaire. Les lettres que s’envoient Bleu et Rouge, dissimulées dans la lave, les troncs d’arbres, etc., alternent avec des chapitres qu’on qualifiera de narratifs, faute de mieux. Les deux correspondants, alternant de même, agissent de leur propre chef. Or, correspondre avec l’ennemi relève de la trahison. Il semble s’agir, au début du moins, d’une tentative de corruption amoureuse de l’une par l’autre ; rendre l’ennemie amoureuse afin de la faire basculer dans son camp. Mais elles finissent par tomber réciproquement amoureuses au cours de leur duel à fleuret moucheté. La partie devient en fin de compte Bleu & Rouge contre l’Agence & Jardin. Dans les chapitres, Bleu et Rouge prennent volontiers forme humaine pour accomplir leurs diverses missions, qui souvent relèvent de l’effet papillon, du carnage cosmique – ou simplement tuer. Ici chez Gengis Khan, là en Atlantide ou ailleurs.
La vacuité du roman se dissimule sous une apparence de complexité qui n’est que vanité se payant de beau vocabulaire : « apophénie d’un haruspice » (p. 83) ; « Quiscale, Sittelle, Paruline » (p. 91 – des oiseaux) ; « stéganographie » (p. 149), encore et encore. L’éditeur français a trouvé son titre chez un féru d’ornithologie. Titre bien moins parlant que l’original, à condition toutefois de ne le point traduire au singulier : « Ainsi tu perds la guerre du temps » (p. 189), mais de comprendre que c’est un « Vous » pluriel : « C’est ainsi que VOUS perdez la guerre temporelle ». Le titre n’est pas une adresse de Bleu à Rouge ni réciproquement, mais d’elles deux à l’Agence et Jardin ; renvoyant à leur histoire d’amour qui les amène à s’affranchir de leurs entités tutélaires.
Notons en passant que tous les personnages, même très secondaires (une exception), sont exclusivement féminin, et même Jardin.
Sans les citations, (mais la place nous est comptée) on perd la mesure du propos, mais le livre est une véritable litanie obsessionnelle de propositions du type « un cadavre qui a été un homme » (p. 7). Je vous invite, en lisant ce livre, à remplacer partout « homme » par son hyponyme « juif », juste histoire de voir ce que ça donne… Si c’est ok ou pas.
On y déniche aussi çà et là quelques morceaux de bravoure anti-occidentale.
Le roman n’offre rien que la même vanité littéraire de ces « littératurants » qui naguère se gobergeaient de belles phrases creuses. Une bluette lesbienne, certes écrite correctement, voire bien, mais ne servant que de prétexte à des propos que tout un chacun saura apprécier comme il se doit. L’histoire sentimentale se tient, une fois dépouillée de tous ses oripeaux SF, et il y a sûrement un public pour cette prose-là – mais en ce cas, pourquoi la SF ? Car ce roman à l’eau de rose nécessite bel et bien de connaître cette dernière, sans donner jamais la moindre occasion de l’apprécier, au contraire. Les amateurs de science-fiction n’y trouveront rien…