Pour conclure une année dont la chronique judiciaire fut d'abondance défrayée par le sport avec l'affaire Festina sur le Tour de France 98, le scandale de la corruption au Comité International Olympique, où des athlètes tels que Virenque ou Zidane tinrent salon chez les juges d'instruction, s'imposait la réédition de ce chef-d'œuvre de la Nouvelle Science-Fiction Politique Française qu'est Les Olympiades truquées. Ce roman, à l'heure où Marie-George Buffet initie le tout-répressif en matière de dopage, reste de la plus brûlante actualité puisque, ce faisant, la ministre s'engage dans la voie prédite par Joëlle Wintrebert pour noyer le poisson. Une fois n'est pas coutume en S-F la réalité semble emboîter le pas aux spéculations de l'auteur et il n'y a pas lieu de s'en réjouir. Pas du tout.
Cette nouvelle édition renoue avec la version d'origine en un volume publiée au printemps 1980 chez Kesselring, l'éditeur emblématique de la NSFPF bien que certains passages aient été entièrement réécrits. L'édition en deux tomes au Fleuve Noir qui dissociait les vies de Sphyrène, la sportive (T.l, prix Rosny-Aîné 1988) et Maël, le clone (T. 2, Bébé miroir) perdait une bonne part de sa force. L'entrelacs des trajectoires de Maël et Sphyrène contribue à lier les diverses problématiques entre elles, or le panorama offert par Les Olympiades truquées est d'une exceptionnelle richesse. Joëlle Wintrebert y aborde le sport, le clonage, le contrôle social et la condition féminine en un tout remarquablement cohérent. Elle brosse plusieurs aspects de son tableau social, sans se contenter d'un collage approximatif ni se focaliser sur un unique problème. Elle s'attache à révéler les synergies à l'œuvre.
Au bout de vingt ans, la réédition d'une S-F du futur proche nécessite quelques mises à jour de manière à ce que les spéculations d'alors se conforment à ce qui est entre-temps devenu la réalité historique. L'Europe est bien plus effective qu'elle ne l'était à l'époque, les situations politiques ont évolué en Iran et surtout en Afrique du Sud où le régime d'apartheid est tombé. Un athlète sud-africain noir n'est plus l'image idéologiquement forte qu'elle était en 1980. Des détails subsistent qui datent le roman ; ainsi une allusion au CNEXO, devenu depuis l'IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploration de la Mer) ; une expression telle que « bath » n'a plus cours aujourd'hui et il n'y a guère que les quadras pour se souvenir qu'elle était peu ou prou l'équivalent de « fun », etc.
Plus difficile était de coller à l'évolution politico-économique et une allusion à la mainmise des grands groupes sur les états (p. 178) n'empêche nullement Les Olympiades truquées de reposer sur la dénonciation de valeurs encore solides en 1980 mais aujourd'hui des plus discréditées : l'état et la nation. Le sport reste l'un des ultimes bastions du nationalisme ainsi que l'on a pu le voir les 12 et 13 juillet 98 face, non à l'Internationale
Socialiste, mais à la mondialisation libérale.
En l'occurrence, Wintrebert tire sur des ambulances, voire des corbillards. Si l'état était l'agent du capital, il était aussi l'institution démocratique ; désormais, ces institutions moribondes ne subsistent plus que sous perfusion du Marché, en étant des « prestataires de légitimité » cautionnant la répression et le contrôle social, restreignant les libertés individuelles au gré des instances financières mondiales. Le mouvement anti-étatique dont participait ce roman a, en discréditant l'état dans l'opinion, contribué à le circonscrire dans les fonctions même qu'il entendait dénoncer. Le contrôle social ne cherche désormais plus à contenir la contestation mais à conformer les masses aux objectifs du marché. Toutefois, pour se demander si avec l'état, on n'avait pas jeté le bébé avec l'eau du bain, c'est un autre livre qu'il eût fallu écrire…
Métaphore de la guerre — on pourra lire La Guerre olympique, de Pierre Pelot (Denoël « PdF »), qui date de la même époque —, le sport est un bien utile opium du peuple pour canaliser la violence. Malgré des discours lénifiant, l'idéologie sportive moderne ne brille ni par son humanisme m par son respect de l'autre. Ainsi, si Maël inspire la sympathie, Sphyrène est une petite conne prête à tous les sacrifices pour un peu de gloire et du fric et ne répugnera même pas à un meurtre pour exorciser ses frustrations de championne déchue. Elle fait pitié. Si elle est victime du système, elle n'en joue pas moins le jeu à fond. Le dopage est inhérent au sport, concomitant au culte de la performance, et Wintrebert conclut son livre sur une note pessimiste envisageant une moralisation du sport, précisément ce que nous concocte Mme Buffet. Rien ne concernant le fond du problème, l'idéologie sous-jacente…
L'autrice se fait également l'avocate des libertés individuelles. Elle calque sur l'ex-RDA le mode de vie imposé à ses championnes. Si le marché semble avoir été mis entre les mains de Nadja suite à un manquement à la discipline de fer du centre, les trois autres paraissent avoir été dopées aux hystérines à leur insu. Le centre apparaît comme un univers carcéral où règnent le chantage et l'humiliation, où elles ne jouissent d'aucune liberté (évasion, parloir), où leur intimité est bafouée par des micros.
Enfin, dans l'univers proposé par Joëlle Wintrebert, les femmes sont devenues rares… et donc chères. Les violeurs sont castrés au Ceres — institution psycho-carcérale destinée à détruire la personnalité des délinquants ou opposants et à les reprogrammer en conformité avec l'ordre social. De fait, tous les hommes du roman font l'objet d'une approche négative, exception faite du second frère de Sil, qui est un transsexuel. Nous sommes en présence d'un roman féministe plutôt que gauchiste, fondé sur la victimisation de la femme, bien que Wintrebert se démarque du courant général du féminisme en défendant les libertés individuelles qui sont d'ordinaire combattues en tant que moyens d'oppression masculins. Elle n'en prône pas moins, dans la conversation entre Maël et Khandjar, la guerre des sexes plutôt que la lutte des classes.
Les Olympiades truquées est l'un des chefs-d'œuvre de la S-F française qui méritait amplement sa troisième réédition afin que la nouvelle génération de lecteurs puisse le découvrir. Roman-phare de la S-F politique des années 75/85, où l'on retrouve toute la technophobie de la mouvance, il s'emploie à illustrer l'aphorisme dischien qui veut que tout progrès contribue à faire du monde un meilleur piège à rats. Malheureusement plus que jamais d'actualité.