Connexion

Les critiques de Bifrost

Les Paradis piégés

Richard CANAL
J'AI LU
6,70 €

Critique parue en octobre 1997 dans Bifrost n° 6

La Grange est un petit paradis automnal où David, le benjamin des Thyrianns faiseurs d'automates, a passé toute son enfance. Amoureux de sa grande sœur Joanna, orphelin de mère, il vient d'obtenir le droit de passer la Porte d'Or, et de voyager à travers les autres mondes. Le principe est relativement simple : une fois franchie la porte, on se retrouve dans la peau d'un autre, un avatar intégré au décor. Pour repartir, la matriochka (poupée gigogne russe servant d'emblème aux Thyrianns) guide son porteur jusqu'à la porte de sortie selon le principe bien connu du « froid tu n'y es pas, chaud tu y es presque ». Bien évidemment, les choses vont se déglinguer progressivement. On songe notamment à l'extraordinaire Congrès de futurologie de Stanislas Lem, qui fait lui aussi appel aux réalités gigognes.

Les paradis piégés tombent cependant dans le piège, justement, des références virtuelles. À situer les aventures de son héros dans des univers « revampés » d'un film (Casablanca), d'un dessin animé (la version Walt Disney d'Alice aux pays des merveilles) et d'un un camp de concentration, Canal perd le bénéfice de l'originalité de son roman. En faisant appel à une notion limitée de la virtualité, à savoir des univers clos au lieu de mises en réseaux, ainsi qu'à la folie de l'un de ses protagonistes, Canal perd en épaisseur et en pertinence de propos au fur et à mesure que le récit se transforme en jeu de massacre sadomaso (il est plus aisé de mettre en scène des timbrés que de véritables ennemis). Autre problème, les faiseurs de Paradis virtuels sont des démiurges absolus. Comment pourraient-ils perdre le contrôle de leur monde ou se trouver pris au dépourvu face à un envahisseur, équipés comme ils le sont d'outils informatiques d'une telle perfection ? Enfin le dénouement déçoit par sa platitude et son manque d'ouverture — les couleurs du virtuel étant plus éclatante que celle de la réalité mise en scène, le retour sur terre ne paie pas. D'autant que cette portion de l'univers des Paradis est à peine développée et l'analyse prospective plutôt légère.

Si Canal ne manque pas de métier, j'aurais pour ma part préféré que sa Porte d'Or menât vraiment vers d'autres mondes, que ses Paradis en fussent de véritables et que les pièges eussent été bien réels et plus subtils.

David SICÉ

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug