Laurent GENEFORT
FLEUVE NOIR
190pp -
Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8
Dans la Panstructure, donc, les Peaux-Epaisses occupent une place particulière. Ils sont le résultat de manipulations génétiques destinées à créer de la main d'œuvre capable de survivre dans le vide de l'espace. Véritables nomades spatiaux, ils transitent d'un chantier à l'autre et sont considérés comme des sous-hommes justes bons à accomplir les basses besognes (« Seules deux régions protégeaient les Peaux-épaisses : le Consortium des Mines, pour raisons économiques, et le Libral, pour raisons idéologiques »). Ils sont même chassés pour leur peau, qui constitue une véritable combinaison spatiale vivante très recherchée.
Le mercenaire Roko se voit chargé d'une nouvelle mission : exterminer un clan de Peaux-épaisses, le Nomaral. Il s'entoure pour cela d'une équipe triée sur le volet, rien moins qu'un ramassis de racailles. Quant à Lark, Peau-épaisse à l'apparence chirurgicalement rendue humaine, et appartenant au clan en question, il cherche à revoir ses pairs. Il sera aidé dans sa quête par un spécialiste de cette race humaine alternative, Anson Damaril. Ainsi, les pièces sont placées, la partie peut débuter. Et voilà tout ce beau monde jeté sur les routes du cosmos. Ce qui ne manquera pas de faire des étincelles lors de leurs allées et venues sur les différents mondes de la Panstructure.
On retrouve là du bon Genefort, et même de l'excellent, tant l'aspect fouillé et novateur des détails et de l'arrière-plan technologique est fidèle au rendez-vous. On sent un véritable travail de recherche (ou du moins de compilation, au fil du temps, de l'état de l'art dans le domaine scientifique) et on parcourt avec jubilation les descriptions biotechnologiques (les Peaux-épaisses et leur organisme modifié), informatiques (la téléthèque galactique) ou roboiques (nano-robots tueurs). Les mondes visités, eux aussi, ne se contentent pas d'être de simples planètes rondes sans relief, mais sont des spatiocénoses aux formes les plus variées, d'où de belles trouvailles sur les modes de vies de leurs habitants. On ne peut évidemment s'empêcher d'établir un parallèle entre ces castes de Peaux-épaisses pourchassées et, à une autre époque de notre histoire, ces tribus d'indiens d'Amérique du Nord qui ont eu la malchance de se trouver sur le chemin des colons. On retrouve ici le même traitement quasi mystique du thème de la survie d'une race face à une fin inexorable. La variation réside dans le fait que la seconde race fut créée par la première, ce qui pose également d'autres questions d'éthique (d'actualité au regard du domaine sensible de la génétique).
Si l'un des leviers psychologiques est une fois de plus le rapport entre deux êtres que tout sépare (Lark et Anson), tout comme dans Le continent déchiqueté (roman paru au Fleuve Noir), le texte est ici plus fouillé et l'action incontestablement plus prenante, notamment du fait des nombreux mondes visités. Un roman distrayant et intéressant.