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Les critiques de Bifrost

Les Pommes d'or du soleil

Les Pommes d'or du soleil

Ray BRADBURY, Philippe GINDRE
FOLIO
352pp - 8,90 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

Ray Bradbury a écrit les vingt-deux textes qui composent Les Pommes d’or du soleil entre 1945 et 1953. Il y offre au lecteur quelques nouvelles SF estampillées âge d’or, à l’instar du récit éponyme au recueil, dans lequel les personnages vont se frotter de très près à l’astre solaire, ou encore le classique « Un coup de tonnerre », qui explore brillamment les conséquences du voyage dans le temps et de l’effet papillon.

Mélancolique, le thème de la solitude est central dans une majorité des nouvelles ici proposées. Personnes en manque d’amour conjugal ou filial comme dans « La Sorcière d’Avril » ou « L’Enfant invisible », créature millénaire solitaire dans « La Corne de brume » ; Ray Bradbury ne cesse de mettre en scène le mal-être issu de ce manque.

La sensibilité et l’engagement de l’auteur s’expriment dans « Les Noirs contre les blancs », partie d’échec métaphorique ayant pour décor un terrain de baseball qui met en relief les inégalités, les abus, mais aussi l’étrange phénomène d’attirance/répulsion exercé par les domestiques sur leurs maîtres, à l’occasion de l’unique match annuel autorisé entre les premiers et les seconds. L’auteur évoque aussi l’immigration (sujet déjà sensible en 1947) dans « Je vous vois jamais », nouvelle forte qui reste d’actualité et émeut en tout juste six pages.

Méfiant à l’égard de la technologie et de l’usage que peut en faire l’homme, Bradbury exprime son inquiétude devant certaines inventions, sentiment qu’on devine partagé par nombre de ses contemporains. Dans « Le Criminel », texte dystopique de 1953, il évoque un homme seul dans la foule, l’unique personne à se rebeller contre un système absurde l’obligeant à écouter la radio 24 heures sur 24, quel que soit l’endroit où il se trouve, mais aussi à communiquer en permanence avec les autres grâce à son téléphone-montre ; rébellion contre un système, certes, mais aussi contre la technologie qui en est l’instrument.

En cette période de Guerre Froide, il est difficile de ne pas penser à la peur de la bombe atomique. Ce qui se ressentait déjà dans Chroniques martiennes est aussi flagrant dans « Broderie » — des femmes qu’inquiètent les expériences de plus en plus folles des hommes —, de même que dans « L’Eboueur », où les camions poubelles sont équipés de radios permettant de les envoyer ramasser les cadavres en cas d’attaque — « The Garbage collector », le titre en version originale, littéralement, le ramasseur d’ordures, prend ici tout son sens. Ce texte daté mais intéressant, angoissé, montre aussi l’ignorance des années 50 (et donc de l’auteur) quant aux retombées d’une explosion nucléaire.

Visionnaire, Bradbury l’a donc été sur certains sujets et un peu moins sur d’autres. Ainsi dépeint-il une femme intelligente, sensible, cherchant parfois à se cultiver, à apprendre à lire (« Le Vaste monde par-delà les collines »). Mais cette dernière se révèle avant tout dépendante de l’homme. Envoyée sur Mars pour se marier dans « Les Grands espaces », comme lors de la conquête de l’Ouest, elle ne s’émancipe jamais. Dans « Le Cerf-volant doré et le vent argenté », manière de conte philosophique où une fille suggère à son père empereur la résolution d’un conflit depuis le rideau derrière lequel elle se cache, l’héroïne s’attire in fine un compliment univoque : « fils véritable ». Est-ce ironique ? Sans doute, même si rien dans les autres textes du recueil permet de l’affirmer clairement. Les femmes de Bradbury demeurent à leur place d’épouse et de mère. Au mieux utiles, mais dans l’ombre, elles sont essentiellement spectatrices des actions de la gent masculine (dans « Broderie », déjà cité), ou en recherche d’amour, comme dans « La Sorcière d’Avril », l’histoire d’une sorcière forcée de se glisser dans le corps d’une jolie jeune femme pour des fins de séduction. Contrairement à Fay, l’espionne des Cinq rubans d’or sous le plume de Jack Vance, roman rédigé à la même période (1950), les femmes de Bradbury ne vont dans l’espace que pour se marier, et sont cantonnées à leur statut social de l’époque, celui de femme au foyer.

Constitué de textes fantastiques, d’anticipation ou de contes philosophiques, mais aussi de récits du quotidien, Les Pommes d’or du soleil démontre une fois encore la richesse de la plume bradburienne. L’auteur y dévoile ses inquiétudes pour l’avenir, la vision de son temps, quitte à égratigner ses semblables. Un recueil hautement recommandable, en somme, et ce en dépit, on l’aura compris, de quelques menues réserves.

Laurinda

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