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Les critiques de Bifrost

Les Pousse-Pierres

Arnaud DUVAL
GALLIMARD
544pp - 10,40 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Trois sociétés distinctes composent l’humanité de la deuxième moitié du XXIIe siècle : sur Terre, les corporations ont remplacé les États mais dépendent, pour leur approvisionnement en matières premières, des Spatieux qui prospectent la ceinture d’astéroïdes, le tout régulé par les occupants de la station orbitale au point de Lagrange 1, lesquels veillent tout particulièrement à interdire l'accès de l'espace aux Terriens. Bien que foncièrement pacifiques ils disposent des armes nécessaires pour empêcher le système capitaliste de contaminer le système solaire. Les Lagrangiens de Eloane ont en effet développé une sorte d'utopie égalitaire, notamment par le biais d'un implant neural interconnectant les individus entre eux, permettant les échanges silencieux et empêchant surtout le mensonge. Face aux mœurs libérales des Grangiens, les règles à bord des vaisseaux des « pousse-pierres » sont strictes, car adaptées à la survie, mais reposent sur un code d'entraide et de solidarité, au sein de structures familiales qui compensent les rigueurs de la hiérarchie quasi militaire. C'est ainsi que Maureen, adolescente survivante du vaisseau spatial de ses parents ayant explosé au large de Jupiter, est réceptionnée dans sa capsule de survie par un cargo, L'Améthyste, non sans lui causer des dégâts qui en font l'obligée des Trajan, sous forme de contrat d'apprentissage de deux ans.

Par ailleurs, la famille Trévise, un couple et ses deux enfants, fuit frauduleusement la Terre pour se faire admettre comme citoyens de la société pourtant très fermée de Eloane. L'action est vue par les yeux du fils, Richard, en pleine crise d'adolescence, d'autant plus réfractaire à ce changement de statut qu'il n'en a pas été avisé et que sa méconnaissance des sociétés spatiales se double de sa peur du vide. Les fils de l'intrigue se nouent autour d'un complot politique de grande ampleur, pour le contrôle du système solaire, où interviennent armes nouvelles et créatures hybrides au cours de combats spatiaux ou planétaires.

Le cadre de ce space-opera ne manque pas d'originalité et aurait en effet mérité d'être développé plus avant. On regrette presque son insertion dans un roman pour la jeunesse qui privilégie l'action et s'appuie sur des personnages stéréotypés : l'adolescent confronté à un univers différent et éprouvant ses premiers émois, les attachants compagnons robots, comme celui, déglingué, qui zozote, etc. Heureusement, l'auteur fait montre d'une certaine habileté pour jouer avec les poncifs du genre, s'attachant à raconter avant tout une aventure captivante, sans temps mort. Il connaît manifestement ses classiques en matière de space-opera, qu'il dévoile dans de discrets clins d'œil. Certains passages font même penser à Heinlein, notamment dans les dialogues servant de justification morales aux contraintes de la vie en groupe.

L'ensemble manque toutefois de constance. Le ton vif et alerte, une dynamique générale des plus entraînantes, aident à pardonner des facilités et des naïvetés du scénario, mais la lecture bute sur des aspects plus discutables de l'univers, comme une société pacifique capable de se battre avec des fusils à balles explosives et des lance-roquettes dans une station spatiale (on peut supposer qu'elle aurait développé d'autres types d'armes adaptées à l'espace) ou des conséquences climatiques comme les mangues de Bourgogne et les activités estivales de février, quand on sait que le réchauffement global entraînera un refroidissement local, notamment sur la façade atlantique. De même, l'écriture se contente de dérouler l'action à l'aide de dialogues et de courtes phrases d'exposition, sans effort particulier sur le style, ce qui convient parfaitement à un récit jeunesse centré sur la narration. On regrette toutefois de devoir passer sur des faiblesses d'écriture comme : « L'accident ne leur avait laissé aucune chance. » au deuxième paragraphe du roman, un défaut de vigilance de radar et des distractions comme « En une phrase elle venait de résumer un drame. » à la suite de : « Papa n'a pas voulu que je retourne à l'intérieur. Maman est restée... pour arrêter la pile... »

« C'est là où » ces défauts placent le roman un cran en-dessous du niveau auquel il aurait pu prétendre. L'ouvrage a bénéficié des bêta-lectures du collectif CoCyclics, où des amateurs bénévoles donnent leur avis, qui repose avant tout sur l'impression d'ensemble. Et, en effet, ces défauts n'obèrent en rien le plaisir de lecture, constamment nourri par des trouvailles, éléments de langage ou codes sociaux insolites, que l'auteur insère tout au long de l'histoire. Toutes ne sont pas heureuses ni en cohérence avec l'ensemble (nom de Zeus, vidéo-roman), mais elles témoignent d'une générosité et d'un entrain sympathiques. Duval a manifestement des idées : il lui reste à travailler le reste. Pour un premier roman, le résultat est tout à fait honorable. Le prix Futuriales de la révélation jeunesse décerné en 2012 est, à ce titre, amplement mérité.

Claude ECKEN

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