C.F.R. : qui connaît aujourd’hui ce sigle banal, perdu parmi des dizaines d’autres ? Et pourtant, le Consortium de Falsification du Réel a changé notre existence et continuera à le faire, de manière profonde et durable. Cette organisation secrète tente en effet depuis des années de guider nos sociétés dans des directions plus humaines, plus démocratiques, plus ouvertes sur les autres. Partant de scénarios travaillés avec minutie, ses agents « falsifient le réel » en fabriquant des pièces plus vraies que nature et en les insérant au milieu d’éléments authentiques – ils orientent ainsi de manière subtile le cours de l’histoire. Sliv Dartunghuver, jeune Islandais fraîchement engagé par le C.F.R., espère de fait venir en aide au peuple Bochiman menacé par une multinationale : quelques histoires émouvantes à la David contre Goliath glissées dans les bonnes oreilles, et les médias du monde entier dénoncent les turpitudes des puissants contre les démunis. Mais toutes les actions menées n’aboutissent pas au résultat escompté, comme le montre l’essor d’Al-Qaida, poussé à ses débuts par l’organisation. Et qui a plongé le monde, et le C.F.R. avec, dans une tourmente aux conséquences incalculables. C’est d’ailleurs pour comprendre comment fonctionne cette machine, comment elle a pu se tromper à ce point, que Sliv va gravir les échelons un à un et tenter d’atteindre le sommet, le Comex.
Antoine Bello, lors d’une interview radiophonique, disait que, plus jeune, il était persuadé que les œuvres lues étaient plus réelles que ce qu’il vivait. Même s’il a changé d’opinion par la suite, il a gardé cette jubilation devant les possibilités offertes par la littérature de nous plonger dans un monde différent, une réalité alternative. Ce plaisir se retrouve dans ses romans, accrocheurs, enthousiasmants. Le postulat de base des « Falsificateurs », loin des théories complotistes qui fleurissent sur l’Internet, s’avère des plus séduisants, un postulat que l’auteur a su développer avec aisance et rigueur. Comme on le vérifiera à coup sûr dans d’autres récits n’appartenant pas à la présente trilogie (Enquête sur la disparition d’Émilie Brunet, par exemple), Bello sait construire ses textes. Il ne part pas au petit bonheur la chance avec une idée ténue. Derrière une histoire entraînante s’élabore une réflexion profonde – qu’on la partage ou pas, c’est en revanche à chacun de voir. Accepter de se perdre dans les aventures de Sliv Dartunghuver (quel nom !), de se laisser embarquer dans son univers, c’est avoir l’assurance de partager des moments grandioses tant l’auteur ne recule devant aucun sacrifice pour distraire son lecteur, la certitude d’être transporté à travers la planète avec un guide talentueux, de finir par observer ce qui nous entoure avec un regard un brin décalé. L’essence même de la littérature, en somme. Enrichissant et jouissif !