Francis SAINT-MARTIN
ENCRAGE
258pp - 38,60 €
Critique parue en juillet 2001 dans Bifrost n° 23
Tout le monde, en France, connaît les pulps de réputation : dans ces magazines bon marché, imprimés sur du mauvais papier (pulp signifie pulpe de bois), se sont développés la littérature de science-fiction et bien d'autres genres populaires. Des auteurs comme Asimov, Bradbury, Van Vogt, Sturgeon, Heinlein y ont fait leurs débuts. Jacques Sadoul a d'ailleurs consacré plusieurs recueils (chez J'ai Lu) à leurs titres restés célèbres (Amazing, Astounding, etc.) ; quant aux couvertures vives et bariolées, on les retrouve fréquemment dans les ouvrages présentant la science-fiction. On se souvient même de certains rédacteurs en chef exigeants, tel John Campbell. Mais que sait-on de l'aventure éditoriale des pulps, de la façon dont ils furent conçus et dont ils s'imposèrent sur le marché ? Pas grand-chose.
Francis Saint-Martin, en amoureux de la littérature populaire, répare cette lacune avec ce nouvel opus de la collection « Travaux ».
Faisant suite aux dime novels, fascicules vendus 5 cents qui présentaient des récits populaires, à l'origine dans un but d'édification morale, les pulps ont perduré 60 ans et dominé le marché durant 30 ans, des années 20 au début des années 50. Ils ont abordé tous les genres, avec des thématiques parfois très réduites pour des revues à parution régulière : les histoires de dirigeables, de mariages (!) avaient leurs magazines spécialisés. Soucieux de coller aux goûts du public, les titres naissaient et mouraient à un rythme parfois effréné, couvrant tous les types de récits populaires : western, guerre, policier, S-F, fantastique, aventure, espionnage, sentimental, érotique (bien innocent aujourd'hui), sports… Histoires répétitives issues d'un même moule narratif, littérature au rabais, les pulps ont aussi été un formidable vivier d'auteurs, de récits imaginaires et novateurs où s'est constituée une grande partie de la littérature populaire d'aujourd'hui.
Car bien sûr, les pulps ne favorisèrent pas que l'éclosion des auteurs de science-fiction. Au rayon policier furent ainsi publiés pour la première fois Raymond Chandler, David Goodis, Dashiell Hammett, etc. De grands héros populaires y sont également nés : Zorro, Tarzan mais aussi The Shadow et Doc Savage. D'autres ont pu entamer une seconde carrière, comme Buffalo Bill ou Nick Carter…
Avec cet essai, on saura tout de l'extraordinaire dynamisme des pulps, des pratiques commerciales que leurs éditeurs mirent en place et dont certaines perdurent encore dans la presse d'aujourd'hui, ainsi que du contenu de ces magazines. Après avoir survolé l'ensemble de la production, histoire de donner une idée de sa diversité, Francis St Martin s'attache à retracer le parcours du plus grand éditeur du domaine, Street & Smith, évoquant au passage quelques auteurs représentatifs (le plus productif abattait ses cinquante pages quotidiennes !). De même, il présente un illustrateur particulièrement fécond, Walter Baumhaufer, ainsi que les principaux héros et personnages qui ont bercé l'enfance de nos grands et arrière grands-parents.
On n'avait pas encore publié en France une histoire des pulps, et le fait que cet ouvrage soit commis par un français est remarquable — on savait de Francis Saint-Martin combien il est passionné, vu qu'il a déjà publié aux confidentielles éditions de l'Hydre des pastiches de Doc Savage, l'homme de bronze. Voici un ouvrage qui ne comble pas seulement un grand vide, mais se révèle passionnant à lire tant il fourmille de renseignements sur la constitution de certains pans de la littérature populaire.