Ian TREGILLIS
PANINI FRANCE
480pp - 18,00 €
Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76
La Seconde Guerre mondiale, on connaît. Mais on ne connaissait pas celle de Ian Tregillis. Les Racines du mal, roman d’histoire parallèle/secrète/uchronique — difficile de classer — nous invite à la découvrir.
Espagne, Années 30. Guerre Civile. Le capitaine Raybould Marsh, espion britannique en mission d’exfiltration d’un transfuge nazi, est le témoin d’évènements extraordinaires. L’impossible ayant été observé, l’improbable vérité se fait jour et les services britanniques, dirigés par le mentor de Marsh, doivent se rendre à l’évidence : les nazis ont développé un groupe de super-hommes — übermenschen — dotés de super pouvoirs. Confrontées à la menace d’un groupe d’autant plus inquiétant qu’il est mystérieux et aux revers militaires qui annoncent une invasion possible de l’île, les autorités britanniques décident de retrouver et de mobiliser les sorciers cachés du royaume pour protéger Albion. La lutte sera longue, âpre, d’autant plus cruelle que les entités invoquées par les sorciers pour les servir, les énochéens Eidolons, exigent leur dû de sang anglais.
Surhommes contre sorciers, l’idée peut paraître étrange. Mais pourquoi pas ? C’est après tout l’approche de l’univers partagé « Wild Cards » que chapeaute GRRM, ce même GRRM qui est un ami de Tregillis et qui dit du bien de lui sur la couverture.
Mais ici, la réalisation est loin d’être à la hauteur. En dépit d’une action rapide qui peut capter l’attention du lecteur, les défauts du roman sont vraiment trop nombreux.
D’abord, quelques personnages principaux un peu développés cachent des secondaires qui ne sont que de fond tant ils ne dépassent pas le stade de silhouettes. Les principaux sautent de scène en scène sur plusieurs années, n’interagissant que lorsque nécessaire avec le monde ou les personnages de complément, ce qui donne des évolutions biographiques abruptes et une impression de décousu.
Ensuite, une inconsistance historique marquée tant par l’absence de point de divergence clair que par le flou absolu dans lequel se développe l’histoire. Pourquoi la guerre ? Où ? Comment ? Rien n’existe ou presque hors du champ de vison des personnages. La guerre est un décor, pas plus utile au récit que les dojos de Mortal Kombat. La manière désinvolte dont Tregillis utilise les noms et les grades de l’époque signifie bien que ce n’est guère important pour lui. On n’attendait pas Les Bienveillantes, mais un peu de rigueur n’aurait pas nui. Rien de cet ordre ici, on a le sentiment que, pour Tregillis, toute cette affaire de guerre mondiale est bien compliquée et finalement peu nécessaire à la progression de l’intrigue. Ce que propose Les Racines du mal, c’est une histoire divergente pour incultes historiques, calibrée peut-être pour le goût de certains américains qui trouvent que le monde, décidément, c’est bien loin d’ici.
S’y ajoute une approche « young adult », au mieux, avec ce qu’elle a d’exaspérant. La forme allie bonne humeur et humour bas de gamme (ça s’arrange un peu dans la deuxième moitié), expressions et vocabulaire à la « Club des Cinq », et toute la bonhommie mièvre du genre. Dans le fond, les stations du calvaire sont parcourues. Coup de foudre, mariage (modeste), bébé (merveilleux), mort du bébé, rivalité amoureuse à bas bruit amortie par de nobles sentiments, rien ne manque, illustré de dialogues consternants.
Last but not least , ce n’est pas pour l’écriture qu’il faut lire le roman. Le style de Tregillis est quelconque, handicapé régulièrement, qui plus est, par l’option d’un lexique bonhomme. Une traduction guère inspirée achève d’enfoncer le texte.
Premier d’une trilogie, Les Racines du mal se termine alors que les Soviétiques sont entrés dans le jeu et que l’issue du conflit est toujours incertaine. Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire de s’enquérir de la suite.