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Les critiques de Bifrost

Les Résidents

Maurice G. DANTEC
INCULTE
23,90 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Soyons clairs. Pour être objectif, il va falloir oublier tout ce que Maurice G. Dantec a publié depuis 1996, année où Les Racines du mal furent couronnées du Grand Prix de l’Imaginaire : tout ce fatras de romans plus foireux qu’expérimentaux ; tous ces journaux qui n’auraient jamais dû sortir du tiroir de son bureau ; tous ces textes absurdement édités pour surfer sur la vague du succès ; tout mettre à la poubelle, sans poser de question.

« Le monde était parfois d’une beauté absolue. Surtout quand il était au bord de la destruction. »

De nos jours, ou dans peu de temps, aux Etats-Unis, trois humains en phase terminale d’évolution suivent, sans le savoir, des trajectoires visant le même point singulier : Sharon, tueuse en série, semble avoir sombré dans la schizophrénie depuis qu’une bande d’inconnus très bien organisés l’a droguée, violée et presque détruite ; Venus, tueuse à gages, a lentement muté durant les quinze années qu’elle a passées cachée dans le sous-sol de son père à subir toutes les sexualités possibles qu’un esprit sain se refuserait à imaginer ; Novak, tueur né, a nettoyé son établissement scolaire des mauvais plaisants qui s’y trouvaient et, enfin devenu lui-même, apprend plus vite que la lumière.

« Etre aveuglé jusqu’à la fusion de la rétine ou bien coudre ses paupières. »

Tous trois convergent vers Trinity-Station, base ultrasecrète où les réponses auxquelles ils aspirent génèreront de nouvelles questions, mais où chacun trouvera sa feuille de route et pourra enfin embrasser la voie qui est sienne.

« Il admit très vite la légitimité de l’homicide pour une virgule mal placée, mais plus encore pour le fait d’admirer Puff Daddy, les Pussycat Dolls ou 50 Cents. »

Sans pour autant nous priver des provocations jubilatoires dont il a toujours eu le secret, Dantec maîtrise enfin ce style qu’il recherche depuis près de vingt ans : la forme sert le fond, références musicales et phrasé de kalachnikov tissent peu à peu une toile qui devient bien plus grande que ses constituants.

« Venus Vanderberg n’avait pas atteint son septième anniversaire lorsqu’elle fut enlevée et séquestrée par son père. »

Extrême, Dantec ne nous épargne à aucun moment. Les mots sont aussi crus que les situations, mais l’auteur contrôle parfaitement la plongée dans l’horreur absolue qu’il impose à son lecteur. Les processus de mutation des personnages prennent progressivement le pas sur les faits les plus sordides et permettent, sans qu’on s’en aperçoive, d’adopter le recul nécessaire à la juste appréciation d’une transformation majeure de l’espèce humaine.

Les Résidents est un très grand roman, extrêmement bien construit, qui ose s’aventurer dans des contrées sombres et difficiles à traiter pour finalement, et contre toute attente, instiller quelques gouttes d’espoir dans le cœur du lecteur.

Après avoir publié n’importe quoi pendant une période bien trop longue, Maurice G. Dantec mériterait bien un second Grand Prix de l’Imaginaire.

Grégory DRAKE

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