Michael GRUBER
POCKET
631pp - 9,50 €
Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49
[Chronique commune à Tropique de la nuit et Les Rivages de la nuit.]
Largement considéré comme étant le nègre d'une bonne partie des polars de l'ancien maire de Beverly Hills Robert K. Tanenbaum (série Karp & Ciampi), Michael Gruber est l'auteur de cinq livres sous son seul nom : la trilogie Jimmy Paz (Tropique de la nuit, Les Rivages de la nuit, Night of the Jaguar), Le Fils de la sorcière (Pocket « Jeunesse »), The Book of air and shadows (ce dernier étant entré dans la liste des best-sellers américain quasiment dès sa sortie en mars 2007). Titulaire d'un doctorat en biologie marine, Michael Gruber a rédigé la plupart des discours de Jimmy Carter pendant la présidence de ce dernier. Il vit maintenant à Seattle, état du Washington.
Après le formidable Tropique de la nuit, Jimmy Paz revenait en août 2007 dans Les Rivages de la nuit, cherchant à percer le secret d'Emmylou Dideroff, une femme retrouvée prostrée dans la chambre d'un homme d'affaire soudanais qui a été assassiné avant d'être défenestré. Ce coup-ci, c'est à un étrange ordre religieux que Jimmy va s'intéresser : les Sœurs Infirmières du Précieux-Sang du Christ.
Ne laissons pas planer le suspense plus longtemps : Les Rivages de la nuit est une purge. Les personnages principaux évoquent les marionnettes sans fil d'un mauvais téléfilm américain ; l'intrigue est si molle qu'il ne s'est toujours rien passé d'intéressant une fois arrivé à la page 250 ; les secrets d'Emmylou, une fois révélés, font plus sourire qu'autre chose. Ajoutez à cela l'influence mal digérée de L'Exorciste (le film) et la logorrhée de l'auteur qui ne nous épargne rien : les séances de potins de la psychiatre Lorna Wise (en charge d'Emmylou) ; les bronzettes sur la plage de Jimmy Paz ; la recette des churros et, surtout, le passé d'Emmylou (évidemment violée par son beau-père, tombée dès son plus jeune âge dans la toxicomanie, sodomisée par son premier mac, baisée par des dizaines de clients chaque jour, embrigadée par un truand antisémite fan de Nietzsche et de nazisme, etc., ad nauseam).
Son premier roman paru en français, Tropique de la nuit, est un coup de poing à l'estomac. 600 pages d'enquête à la poursuite de l'« avorteur fou », un serial killer qui tue des femmes sur le point d'accoucher et dévore une partie de leur fœtus. Un taré, à coup sûr. Sauf que « l'avorteur fou » sait très bien ce qu'il fait, il a appris son art noir (black art = magie noire) en Afrique occidentale dans une tribu dont beaucoup d'anthropologue jugent l'existence mythique. C'est Jimmy Paz et son coéquipier Cletis Barlow qui sont sur l'enquête. Une enquête qui va les obliger à retrouver Jane Doe, une experte en magie africaine qui se cache quelque part dans la région de Miami, espérant ainsi échapper à son passé terrifiant : elle ne connaît que trop bien l'identité de l'« avorteur fou ».
La force de Tropique de la nuit réside non pas dans son suspense (on sait très vite, dès les premières pages, qui est l'« avorteur fou »), mais dans la rationalisation de la magie et du chamanisme, qui nous sont présentés au fil du récit comme une technologie vieille de plusieurs millénaires, étonnamment crédible. S'ajoutent à cela un quatuor de personnages fouillés : Jimmy Paz, le flic afro-cubain qui cuisine de temps en temps dans le restaurant huppé de sa maman ; Cletis Barlow, qui cite la Bible dès qu'il a quelque chose à dire ; Jane Doe, qui fuit son passé de riche héritière ; et l'assassin qui n'est peut-être pas complètement fou, mais bien décidé, en acquérant un pouvoir inimaginable, à mettre l'Afrique au centre du Monde (de son point de vue, le malheur de l'Afrique c'est de ne pas avoir eu son Adolf Hitler).
Erudit, relativement bien écrit (Gruber ne cherche jamais à produire du style, mais chiade sa mise en scène et la construction de son récit), Tropique de la nuit se dévore malgré la hardiesse de ses passages et concepts anthropologiques. Faire de la science-fiction avec de la magie était une gageure, Michael Gruber s'en sort la tête haute.
Le seul reproche que l'on pourrait faire à ce roman, c'est sa fin, qui manque de tension, qui est peut-être un peu trop vite expédiée alors que l'auteur avait pris son temps sur les 500 premières pages. On sent, avec regret, que Gruber aurait pu, sans mal, condenser ses 500 premières pages en 400 et ajouter 50 pages de plus à sa fin.
Si Tropique de la nuit était relativement bien écrit (il y a avait un certain rythme, un vrai travail de recherches et de mise en scène), Les Rivages de la nuit est écrit comme la majeure partie des cinq cents thrillers de gare publiés chaque année — à la truelle molle. Aucun mot n'a été omis, surtout pas ceux qui étaient inutiles. Et visiblement, je ne suis pas le seul à m'être ennuyé ferme à la lecture de ce pavé-navet : Dominique Haas (la traductrice, d'habitude excellente) n'a pas poussé son effort jusqu'au bout (des grades de police ne sont pas traduits, des années d'école ont été traduits mot à mot, la huitième par exemple, etc.).