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Les critiques de Bifrost

Les Romans de Philip K. Dick

Les Romans de Philip K. Dick

Laurent QUEYSSI, Kim Stanley ROBINSON, Philip K. DICK
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
256pp - 15,00 €

Bifrost n° 40

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

Les Romans de Philip K. Dick (1984) de Kim S. Robinson est l'adaptation d'une thèse sur l'œuvre romanesque d'un des auteurs les plus fascinant de la S-F. Robinson propose dans son essai d'étudier le processus d'écriture — le style, la construction, le contenu du texte — de Dick et d'en dégager la valeur intrinsèque. Ainsi, Robinson reste proche du texte dickien — tout en l'insérant et en l'extirpant du cadre historique — et évite les dérives interprétatives d'ordre biographique, qui travestissent trop souvent la réalité du texte chez Dick. Aucun parti pris de la part de l'auteur, il ne s'agit pas de défendre corps et âme l'œuvre entière de Dick — Robinson sépare clairement l'auteur et le mythe. L'étude se focalise sur une approche analytique du texte par le texte, transcendant ainsi celui-ci par divers biais — tant littéraires qu'historiques. Cette méthode permet de passer en revue tous les romans de Dick, de sorte que même les faibles — soit au niveau de la construction, soit de la narration — sont eux-mêmes capables d'apporter du sens au corpus général dickien. Robinson montre que dans son ensemble, chaque roman — même le plus insignifiant ou le plus inabouti — rend plus compréhensible la valeur du tout.

La construction de cette étude est claire et précise : suivant la progression chronologique de la composition des romans, elle se scinde en chapitres qui mettent en relief différents aspects de l'œuvre de Dick sous l'éclairage de groupes de romans. Les premiers chapitres décrivent brièvement les étapes initiales de l'écriture chez Dick, tentant de s'immiscer dans la littérature réaliste avec un insuccès constant. Essais de la part de ce dernier qui auront une grande influence sur sa production S-F ; montrant par là même que les outils narratifs issus de la fin du XIXe siècle — les effets de réel — sont bien présents dans la littérature de genre. Robinson expose ensuite les consensus du milieu de la S-F américaine — avec ses lieux communs, ses règles implicites — et les méthodes d'un Dick composant ses romans systématiquement a contrario.

En passant en revue les différents thèmes de la S-F, Robinson démontre que Dick, parmi les premiers, a délibérément exploité plusieurs éléments — parfois contradictoires — du genre au sein d'un même texte ; la réussite de ce dernier dépendant de l'habileté de l'écrivain à fusionner ceux-là. L'élément le plus intéressant — à notre sens — exposé par Robinson sur les romans de Dick, est « le dérèglement de la réalité » saillant dans Ubik (1969) ou Le Maître du haut château (1962). Optique fondatrice de la S-F moderne, sorte de doute sur la réalité à l'intérieur d'une fiction transfuge, que Robinson explique par le débordement du monde personnel (de Dick ou de ses personnages) — autrement dit le koinos — sur la réalité commune — le kosmos. Deux notions fondamentales dans l'œuvre de Dick, qui apportent un regain de sens à son corpus littéraire. L'étude serrée de La Trilogie divine, quant à elle, mérite le détour, tant elle apporte de nouvelles pistes de lecture.

Une étude accessible et importante pour ceux qui désireraient lire des textes, connus ou moins connus, avec un second regard. À souligner l'effort des Moutons électriques de mettre à disposition du public des livres critiques qui s'intéressent à l'analyse littéraire du genre — en évitant les confrontations naïves sur la valeur du genre par rapport à la littérature générale et l'enfermement dans le no man's land du domaine — , objet assez rare en francophonie. Les Romans de Philip K. Dick saura livrer des indices et des éclairages pertinents, autant pour les chercheurs, les néophytes — qui seront fascinés par la profondeur de l'œuvre — ou les lecteurs avertis — qui y trouveront de nouvelles raisons de relire ces textes.

Frédéric JACCAUD

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