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Les critiques de Bifrost

Les Sept morts d'Evelyn Hardcastle

Les Sept morts d'Evelyn Hardcastle

Stuart TURTON, Stuart TURTON
SONATINE
544pp -

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Angleterre, première moitié du XXe siècle. Un homme reprend conscience dans une forêt, sans savoir où il se trouve, ignorant qui il est. Il rejoint le manoir de Blackheath, demeure géorgienne jadis belle mais aujourd’hui délabrée, tout comme l’est la famille qui occupe, marquée par la tragédie. En effet, dix-neuf ans plus tôt, le jeune Thomas a été assassiné par le gardien du domaine, lequel a été pendu. Evelyn, sœur aînée de la victime et tenue pour responsable, s’est exilée à Paris. Afin de marquer son retour, ses parents ont organisé un bal masqué dont les invités sont ceux qui était présents la nuit du crime. Tout cela, le personnage en prend conscience au fil de ses incarnations. Car chaque jour, ou plutôt au fil des répétitions de la même journée, il endosse le corps et la personnalité d’un nouvel hôte, tout en gardant mémoire des informations collectées. Aiden Bishop, son identité d’origine, semble avoir provoqué cette situation. Il lui revient d’élucider la mort d’Evelyn qui, chaque soir, à onze heures, se tire une balle dans le ventre. Mais il s’agit bien d’un assassinat. Aiden dispose de huit vies pour résoudre l’énigme, sinon tout recommencera. Deux autres convives sont aussi piégés, des rivaux car un seul pourra s’échapper du manoir. Qu’en est-il du « médecin de la peste  », masqué et vêtu de noir, qui apparaît régulièrement pour informer Aiden ? Et qui est Anna, consciente des incarnations mais qui ne vit qu’une seule journée ?

Le propre du récit policier classique, particulièrement du roman à énigme, est de suivre l’ordre linéaire du temps. La durée extérieure apparaît selon une relation d’ordre irréversible. Les événements sont liés à des moments qui se succèdent, l’un chassant l’autre et sans possibilité d’inverser la série. Le temps ne peut être renversé. Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle bouleverse cette succession linéaire, et donc l’ordre causal qui y est attaché. Partant, l’enchaînement des faits dont dépend l’enquête classique s’en trouve affecté. Sans compter que les événements de la journée se répètent dans le désordre. De plus, en soumettant son personnage principal à un véritable carrousel d’incarnations, Stuart Turton remet en cause la fiabilité du narrateur, pourtant indissociable du roman policier classique, à quelques exceptions notables près, telle Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Ainsi Aiden doit-il faire avec les capacités physiques et mentales de ses différents hôtes, comme lord Cecil Ravencourt, dont l’esprit aiguisé est contrarié par son corps obèse qui l’empêche d’agir…

L’auteur parvient à faire d’une évidence : « Nous ne pouvons pas élucider le meurtre de quelqu’un qui n’est pas mort » (p. 199), l’enjeu véritablement inédit d’un tour de force littéraire. Un roman magistral basé sur le principe de rétroception, d’ordinaire plutôt utilisé en science-fiction (Replay de Ken Grimwood, ou Les Quinze premières vies d’Harry August, de Claire North, par exemple).

Une lecture indispensable, une passerelle entre les genres.

Xavier MAUMÉJEAN

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