France, année 2062 : l’Hexagone est régi par la VIIe République. « Démocrature » plutôt que démocratie, le régime est sous la coupe d’un Président autocrate. Les médias lui sont soumis. Tel Canal National qui diffuse servilement sa parole ainsi que de constantes incitations à la surconsommation : politiquement autoritaire, cette France futuriste promeut aussi un productivisme débridé et destructeur pour l’environnement. C’est encore Canal National qui retransmet le procès de la Sybille. Il s’agit de celle de Cumes, contemporaine d’Enée et chantée par Ovide, âgée de deux mille neuf cent treize ans lorsque débute son jugement. Elle est l’ultime représentante terrestre de la sororité surnaturelle qui administra la France de 2017 à 2020. Période durant laquelle un aréopage de déesses de la Grèce antique, aidées par d’humaines sorcières, instaurèrent une République gouvernée par les femmes. Mais la Sybille doit désormais répondre de cette brève interruption d’un patriarcat redevenu tout puissant après quarante ans de backlash… Comme dans le récent Avec joie et docilité de Johanna Sinisalo, Chloé Delaume use des registres de l’Imaginaire pour camper une fiction au féminisme pleinement assumé. Un large spectre fantastique – allant du récit mythologique à Buffy contre les vampires – permet ainsi d’éclairer les origines lointaines et immédiates de cette République matriarcale. Quant à la science-fiction, notamment uchronique et dystopique, elle offre à l’auteure un cadre pour dépeindre les désastreuses conséquences de l’échec de cette parenthèse féministe. Faisant montre d’une belle inventivité – agrégeant avec talent le réel et le fictif –, Chloé Delaume compose avec Les Sorcières de la République une contre-histoire de l’humanité en proie à la phallocratie. Stimulant, le propos de l’écrivaine adopte une forme littéraire singulière et composite. Au témoignage oral de la Sybille – formant l’essentiel du livre –, Chloé Delaume combine entre autres éléments des interventions du Président ou d’une journaliste de Canal National, des « messages à caractère informatif » gouvernementaux ou bien un échange de courriels entre Jésus-Christ et Artémis ! Déployant un art certain de la formule – tantôt tragique, tantôt potache –, Chloé Delaume explore ainsi les profondeurs de la domination masculine et de l’aliénation féminine. Mais pareil parti-pris formel tend parfois à conférer au livre des tonalités plus rhétorique et théorique que narrative. La force d’évocation de Chloé Delaume, comme celle de son propos, est cependant suffisante pour emporter l’adhésion. Y compris celle des amateurs et amatrices de narration romanesque classique à qui on recommandera in fine cette expérience de lecture atypique.