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Les critiques de Bifrost

Les Souvenirs de la Glace

Les Souvenirs de la Glace

Steven ERIKSON
LEHA
27,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Troisième volume de la décalogie « Le livre des martyrs », Les souvenirs de la glace est le premier inédit en français. Plusieurs lignes narratives s’entrecroisant dans le cycle : ce tome 3 ne fait donc pas directement suite au tome 2, mais se déroule en parallèle, poursuivant l’intrigue du tome 1. Il montre l’improbable alliance entre les Malazéens d’une part, et les forces de Rake et Rumin d’autre part, afin de combattre une nouvelle menace qui s’étend sur le continent de Genabackis, le Domin de Pannion. Dirigé par un oracle tellement tyrannique qu’il affame sa propre population au point qu’elle en est réduite à pratiquer le cannibalisme, cette théocratie est en expansion constante. Le récit sera donc rythmé par deux batailles opposant l’alliance et les forces du Domin, d’abord lors du siège de la ville de Capustan, puis lors de l’attaque de la cité de Corail. Mais l’intrigue ne se réduit pas à la lutte entre deux factions, car derrière cette façade terrestre, se cache en fait, en coulisses, celle entre des dieux et des races anciennes qui ressurgissent d’un lointain passé — le trope classique en fantasy de la menace emprisonnée, oubliée ou qu’on croyait vaincue et qui ne l’était pas.

Le roman impressionne du fait de la puissance démesurée des individus impliqués, l’ampleur de l’échelle temporelle utilisée, du côté pyrotechnique de la magie et autres armes employées, de l’âpreté des batailles ou la noirceur de certains actes décrits (cannibalisme, viol de soldats mourants), de la maîtrise de l’auteur, qui brasse personnages, nouveaux et anciens, points de vue et lignes narratives sans jamais (tout à fait) perdre le lecteur, et bien entendu du fait de certains moments d’émotion poignante et de surprise vertigineuse, bien que sur ce plan là, nous le placerions un peu en-dessous du tome 2. On notera toutefois qu’entre la fin du siège de Capustan et le début de l’assaut de Corail, le rythme et l’intérêt subissent une baisse qui, si elle ne remet pas en cause la valeur considérable de l’ouvrage, est tout de même assez sensible. On notera aussi que l’univers, déjà d’une richesse impressionnante, s’étoffe beaucoup, puisque nous en apprenons énormément sur différentes races, divinités, magies ou sur d’autres continents.

Sur le fond, donc, rien de bien méchant à dire sur ce roman, hautement recommandable pour qui ne craint pas une fantasy d’une noirceur absolue, tellement homérique qu’elle est à la fantasy épique « normale » ce que Greg Egan est à la hard SF. Reste le sujet épineux de la traduction. C’est à nouveau Nicolas Merrien qui officie, et si l’ouvrage se révèle tout à fait lisible, la prose fluide et non dépourvue, parfois, d’une certaine élégance, et qu’on sent que les problèmes soulevés par le camarade Bonnet dans notre n° 93 ont en bonne partie été réglés, il ne faut tout de même pas la regarder de trop près. Plus on avance, et plus les points de crispation s’accumulent pour le lecteur doté de sens critique. Le plus visible étant les innombrables « ouaip », qui, d’une part, s’ils sont adaptés au troufion malazéen, passent beaucoup moins bien pour des personnages plus distingués (et dénotent donc une rupture de ton malvenue), mais qui, d’autre part, constituent une évolution bienvenue par rapport aux « yep » du tome 2. On ose donc espérer des « ouais » pour le tome 4, et, soyons fous, des « oui » pour le 5 ! Nicolas Merrien n’est pas Emmanuel Chastellière, traducteur désormais expérimenté et au style élégant, et plutôt que de balayer les critiques pour ne retenir que le dithyrambe, on lui conseillera de remettre avec humilité son ouvrage sur le métier, afin d’offrir à la formidable matière première tissée par Erikson la traduction qu’elle mérite.

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