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Les critiques de Bifrost

Les Temps parallèles

Robert SILVERBERG
PRESSES DE LA CITÉ

Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49

Dans Les Temps parallèles, Robert Silverberg renoue avec une thématique qu'il connaît bien, le voyage temporel. L'arrière-plan de ce roman dépeint une société future — extrapolation plutôt logique d'un présent aux mœurs de plus en plus exubérantes — dont la principale découverte technologique est utilisée d'une manière pour le moins singulière. Ainsi, le voyage temporel devient le principal argument d'une forme de tourisme dans le temps. En tant que guide temporel, Judson Daniel Elliott III conduit des groupes de touristes dans les périodes historiques marquantes de Byzance. Parmi diverses péripéties, le personnage principal rencontrera l'une de ses aïeules dont il va tomber follement amoureux. Cet amour incestueux à rebours sera le déclencheur d'une avalanche de problèmes pour Jud. Il y aurait certainement à tirer des parallèles entre ce roman et celui de Jack Finney Le Voyage de Simon Morley, composé presque au même moment (1970) et véhiculant le même enjeu, c'est-à-dire l'amour décalé dans le temps et les modifications de la trame temporelle.

Ce roman repose sur certains traits constitutifs — stéréotypes — des fictions que Silverberg écrit entre les années 60-70, notamment au travers du personnage principal, désabusé, ne trouvant pas sa place dans la société contemporaine. Le caractère du personnage justifie en lui-même les déplacements temporels. Contrairement au roman de Finney, plus poétique, le ton de l'histoire est résolument tourné vers la dérision, la caricature et l'ironie — ironie gui relie chacun des romans de l'auteur. Dérision du système, puisque les guides, en amenant à la même période successivement plusieurs groupes de touristes, grossissent invariablement le nombre de personnes présentes à ce moment-là. Comment ne pas comprendre la patrouille temporelle — terminologie rappelant Poul Anderson — de ce roman comme un pastiche de certains canons de la S-F ? L'ironie, quant à elle, est parfaitement illustrée par l'utilisation du voyage temporel dans le contexte touristique, usage plus ou moins futile comparé au risque « cosmique » engendré par les dérapages.

Cependant, le roman de Silverberg développe plusieurs aspects dramatiques. Comme par exemple l'obsession des personnages pour leur généalogie : Capistrano retrace son arbre généalogique pour tuer un aïeul — suicide rétroactif —, Metaxas retrace le sien pour coucher avec toutes les femmes qui le constituent — complexe œdipien absolu —, Judson recherche les membres de sa généalogie afin de se situer dans l'histoire, de se retrouver lui-même. Les guides temporels montrent que les derniers hommes du XXIe siècle n'ont plus leur place ici, mais plutôt dans l'ailleurs du passé. En effet, une généticienne annonce à Jud qu'une nouvelle race d'homme va apparaître ; de plus en plus de couples ont recours aux modifications génétiques pour donner naissance à des êtres qu'ils jugent parfaits. L'homme du futur ne sera plus celui du passé, et donc, ne pourra plus se fondre dans le temps, parce que visiblement différent. De plus, la généticienne en proie à des visions prophétiques prédit l'avenir à Jud : « Et tu souffriras, tu regretteras, et tu te repentiras, mais tu ne seras plus jamais comme avant » L'intervention de cette Pythie remet en doute la puissance et l'infaillibilité de la science, car Jud ne pourra modifier la trame de son passé-futur. Impossibilité qui rappelle le déterminisme du temps tel que Silverberg l'avait déjà démontré dans Le Maître du hasard. Roman à plusieurs niveaux de lecture, Les Temps parallèles met en scène des personnages qui se débattent contre la fatalité, et, comme bien souvent chez Silverberg, sont broyés par une force supérieure. Ce roman s'inscrit dans la continuité d'une variation thématique que Silverberg a entreprise depuis le début des années 60.

Frédéric JACCAUD

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