Comme son titre l’indique, Les Tentacules peut être pris par plusieurs bouts. C’est un entrelacs d’histoires, de vies croisées et de temporalités dont la vue d’ensemble et la saveur ne se révèlent finalement que dans les dernières pages. Au tout début, nous avons Alcide, jeune femme au passé de prostituée faisant le ménage chez une vieille prêtresse de la Santéria et attendant d’avoir assez d’argent pour prendre un médicament miracle qui lui permettra enfin d’avoir un corps d’homme. Nous avons aussi Argénis, artiste raté en plein divorce travaillant dans un call-center et confronté aux moqueries de ses collègues. Bien que vivant tous deux en République dominicaine, ils n’y sont pas en même temps. Alcide débute l’histoire en 2027 sur une île ravagée par la pollution et où règne une technologie ultra-développée. Argénis, lui, y vit dans les années 2000 et va se voir enfin proposer une résidence artistique à la hauteur de son talent. Et pourtant, leurs destins vont se croiser, s’entremêler d’un corps à l’autre, d’une époque à l’autre.
Ce qui pourrait paraître jusqu’à mi-parcours comme un roman d’anticipation s’oriente alors vers un roman fantastique où la santéria, adaptation caribéenne du vaudou africain, et les religions indigènes de l’île, s’entremêlent pour tenter de changer le destin sombre de la République dominicaine. À moins que l’amour ne bouscule tout… Inutile de chercher dans ce roman une quelconque linéarité. Le mieux qu’on puisse faire ici est de se laisser porter par les mots, goûter l’envoutement de certaines scènes, l’écœurement de certaines autres, et rester aussi fluide dans son esprit qu’Alcide l’est dans son corps. On découvrira alors chez ces personnage une énergie stupéfiante, un appétit de vie malgré les doutes, la pauvreté, l’identité sexuelle, l’environnement à bout de souffle. On aimera ou on détestera, mais nul ne restera indifférent.