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Les critiques de Bifrost

Les Testaments

Margaret ATWOOD
ROBERT LAFFONT
552pp - 22,90 €

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

C’est un défi littéraire de taille que s’est lancé la désormais octogénaire Margaret Atwood en donnant, avec Les Testaments, une suite à La Servante écarlate. Au cas (extraordinaire…) où quelques lecteurs et lectrices de cet article l’ignoreraient, rappelons que La Servante écarlate a conquis, depuis sa parution en 1985, le statut de livre culte. Vendu à plus de huit millions d’exemplaires uniquement pour sa version anglaise, cette implacable dystopie féministe a encore élargi son public durant les années 2010 grâce au succès international de sa déclinaison télévisuelle. À tel point qu’à l’instar de 1984 de George Orwell ou de La Grève d’Ayn Rand, La Servante écarlate est devenue l’une de ces rares œuvres de l’Imaginaire tenant autant du manifeste politique que du cri de ralliement militant, ainsi à même d’irriguer la réalité. Créer la suite d’un roman occupant pareille place dans les paysages littéraire et social tenait donc de la mission si ce n’est impossible, du moins périlleuse… et dont Margaret Atwood s’est acquittée de manière plus que convaincante, en réalité brillante, faisant – osons l’écrire – desTestaments une œuvre supérieure à La Servante écarlate !

Pourquoi pareille réussite ? Parce que l’autrice canadienne – pas plus impressionnée par l’aura phénoménale de sa Servante écarlate que tentée d’en tirer un opportuniste profit (1) – a fait avec Les Testaments œuvre de littérature. L’écrivaine inscrit en effet ce retour à Gilead – ou plutôt Galaad, selon la traduction des Testaments – dans la fructueuse lignée de ses textes des années 2000/2010. Empruntant à la «  Trilogie MaddAddam » (Le Dernier Homme, Le Temps du déluge et MaddAddam) sa structure chorale, Les Testaments donne ainsi la parole à trois narratrices. La plus puissante d’entre elles est Tante Lydia, sorte de Kapo en chef de cette immense prison pour femmes qu’est la dictature théocratique instaurée par les Fils de Jacob. Cheffe suprême de la corporation des Tantes – ces femmes qui collaborent activement à l’ordre viriarcal de Galaad –, elle exerce son magistère depuis Ardua Hall. Autrefois une université, l’endroit est devenu un gynécée destiné à « Éduquer » les futures épouses des Commandants, les maîtres de Galaad. Parmi ses pensionnaires se trouve Agnès, la deuxième héroïne des Testaments, la fille d’un hiérarque de Galaad. Rien de commun a priori entre cette jeune fille n’ayant connu que le joug masculiniste des Fils de Jacob et Daisy, la troisième protagoniste du roman. Encore adolescente, cette dernière vit à Toronto, dans un Canada épargné par la vague autocratique ayant frappé les États-Unis. Vivant librement sa vie d’adolescente, Daisy milite contre Galaad à sa lycéenne échelle en allant manifester…

Afin de ne pas divulgâcher, on n’en dira pas plus, tout en soulignant que l’habile entremêlement des trois fils narratifs permet aux Testaments d’embrasser de manière beaucoup plus large l’univers de La Servante écarlate. Limitée au seul point de vue de son héroïne, la Servante Defred, traitée de manière impressionniste, l’imaginaire dystopique y était un peu à l’étroit. Grâce à la structure polyphonique des Testaments, le futur inventé par Margaret Atwood gagne à la fois en ampleur et en profondeur. Déployant une imagination plus riche que celle de La Servante écarlate, Les Testaments s’en distingue encore par une écriture beaucoup plus enlevée. Évoquant en cela C’est le cœur qui lâche en dernier, le roman assume un humour (parfois très noir), de même qu’une tonalité de conte (souvent cruel), donnant d’autant plus de force offensive à son féminisme. Car c’est, somme toute, une inattendue et jouissive relecture du motif du Rape and Revenge que propose Les Testaments. Un roman au titre faussement funèbre, irradiant d’une revigorante vitalité qui ne pourra qu’emporter celles et ceux qu’inquiète notre sombre présent…

(1). On s’autorisera ici à émettre un doute quant à l’assertion de notre camarade Pierre Charrel. [NdRC]

Pierre CHARREL

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