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Les critiques de Bifrost

Les Voyages du fils

Les Voyages du fils

Jacques ABEILLE
TRIPODE (LE)
240pp - 17,00 €

Bifrost n° 82

Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82

[Critique portant sur Les Voyages du fils, Les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, La Grande Danse de la réconciliation, Le Monde des Contrées et Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille.]

Impossible ici de livrer une critique exhaustive de ce qui constitue le plus important moment éditorial de toute la carrière de Jacques Abeille. En effet, pas moins de sept ouvrages, de lui ou à lui consacrés, sortent en l’espace d’un mois : on y trouve un roman réédité (Les Jardins statuaires), d’autres révisés et augmentés (Les Voyages du Fils et Chroniques scandaleuses de Terrèbre), la parution d’un inédit sous le format beau-livre (La Grande danse de la réconciliation), un guide introductif à l’univers des Contrées (Le Monde des Contrées) et un volume d’études, le premier en son genre (Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille), le tout aux éditions du Tripode, sans oublier la réédition du recueil de nouvelles Celles qui viennent avec la nuit, épuisé à ce jour, aux éditions in8. Est-ce pour autant une surprise ? Bien sûr que non, quand on suit depuis 2010 l’aventure éditoriale de cette œuvre hors du commun qui trouve un lectorat de plus en plus large à mesure que sa vaste architecture apparaît plus clairement aux yeux de tous.

D’où un premier constat et non le moindre : c’est fait, le « Cycle des Contrées » est enfin publié chez un seul éditeur, le Tripode (anciennement Attila), dans une même maquette avec couverture de François Schuiten, carte des Contrées de P. Berneron mais aussi des peintures originales réalisées spécialement pour la réédition des Chroniques scandaleuses. Notons de suite également que tout un pan de l’œuvre d’Abeille se révèlera un peu plus précisément au lecteur, celui des textes brefs – pour ne pas dire nouvelles, car tous tissent une seule et même histoire, du fil de la vie d’un mystérieux scripteur qui se dérobe sans cesse aux confins de la fiction. Le lecteur en a déjà eu un bel aperçu l’année dernière avec le recueil Fins de carrière (éditions in8), et il en découvrira l’inspiration érotique dans la réédition augmentée des Chroniques et de Celles qui viennent avec la nuit.

Après la réédition en mars 2015 du Veilleur du jour, le roman d’Éros en Terrèbre, le lecteur attendait de pouvoir enfin redécouvrir Les Voyages du fils et les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, qui sont en quelque sorte le cœur battant de l’ensemble romanesque, centré sur deux figures non sans liens : l’une purement fictionnelle qui a déjà fait une apparition dans La Barbarie, Ludovic Lindien, et l’autre à cheval sur notre monde et celui du récit, Léo Barthe. La quête de l’identité au cœur des grands romans se poursuit ici : on y découvre entre autres qui est vraiment le héros du Veilleur du jour, Barthélemy Lécriveur, ce qu’est devenu Felix, l’apprenti de Uen Ord dans Les Barbares, ou encore Licia, comment se sont aimés Barthélemy et Coralie, qui est Ludovic pour Léo, etc. On apprend surtout, par le récit et par l’exemple que constituent les Chroniques publiées sous son nom, qui est Léo Barthe, cet auteur à la réputation sulfureuse, ce frère de lettres qu’on ne saurait distinguer de son jumeau, Abeille. On l’aura compris, le réseau d’un roman à l’autre ne cesse de se faire de plus en plus dense, et le texte inédit ajouté dans chacun des deux volumes concourt un peu plus à construire la cohérence du Cycle. Il ne faudrait pas croire pour autant que Les Voyages et les Chroniques sont accessibles seuls aux initiés : le talent à conter l’aventure, le voyage et la merveille, le mystère et le charme de l’écriture, l’exquise sensibilité de l’érotisme vous emporteront quelle que soit votre connaissance préalable des « Contrées ».

La Grande danse de la réconciliation réunit avec bonheur en un volume unique de nombreux aspects énumérés ci-dessus : texte bref, érotisme, même narrateur en la personne de Ludovic Lindien qui se révèle une nouvelle fois un fin ethnographe (après les Carnets de l’explorateur perdu, Ombres, 1993), servi par les beaux dessins de Gérard Puel.

Celles et ceux qui entrent dans le Cycle par cette triple porte pourront se reporter utilement au Monde des Contrées, dans lequel Éric Darsan et un collectif de graphistes résument et illustrent les grands épisodes des « Contrées ». Quant aux plus avertis, ils trouveront dans le volume d’études réunies par votre serviteur, Le Dépossédé, de quoi découvrir plus intimement une œuvre multiforme et abyssale, en attendant d’en apprendre davantage sur l’écriture érotique d’Abeille/Barthe grâce aux actes à paraître d’un colloque qui s’est tenu sur ce sujet le 13 avril dernier à la bibliothèque de l’Arsenal, deuxième temps d’un triptyque qui se clora en 2017 sur une journée consacrée aux rapports entre arts et poésie chez Jacques Abeille.

Arnaud LAIMÉ

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