« Des jours durant, un souffle glacial avait balayé les lointains canyons, arrachant des débris rocheux de toutes tailles, les projetant contre les génératrices arc-boutées sur les parois. Le vent s'était engouffré dans la gueule avide des capteurs avant de s'émietter en échardes sanglantes contre les pales de métal. Sur le muret délimitant les bassins d'algues pourpres, l'Être des Sables s'avança... »
En 2033, un message séquentiel codé en provenance du système de Proxima Centauri est capté par la Terre, induisant de fait une réalité désormais incontournable : l'Homme n'est pas seul dans l'Univers ! La nouvelle fait l'effet d'une bombe. Sous la houlette de Grand Israël le projet Altneuland est lancé ; les meilleurs scientifiques du monde se regroupent. Objectif : organiser un vol habité à destination du Centaure. Et voici la conquête spatiale relancée, un nouveau départ pour l'Humanité, une nouvelle histoire, une histoire du futur...
Les Voyageurs sans mémoire se présente comme un recueil de dix nouvelles écrites à des dates parfois très espacées (huit années entre « Eux qui rêvaient dans tes ténèbres » et « La dernière mission de Lise Reinhardt ») et s'inscrivant dans une trame commune figurant une histoire du futur développée sur plus de quatre siècles (de 2030 à 2489). Les cinq premières nouilles ici présentées (« Amériques », « Bereshit », « Mihrab », « Elohim » et « Game Over ») sont plus directement liées puisqu'elles traitent toutes du projet Altneuland (elles furent d'ailleurs regroupées sous ce titre dans un ouvrage publié aux Éditions de l'Hydre en 1995), les cinq dernières nous plongeant dans les brumes d'un futur beaucoup plus lointain. Précisons enfin que de tous les textes proposés, un seul est inédit (« La dernière mission de Lise Reinhardt »).
Lire Les Voyageurs sans mémoire, c'est pénétrer de plein pied dans un univers riche d'une profonde sensibilité, s'abîmer dans les personnalités de protagonistes fondamentalement humains, se laisser prendre au jeu d'une immense trame futuriste dont on nous livre les clefs, ça et là, de façon parcellaire, autant d'instantanés à prendre pour ce qu'ils sont : une invite à la découverte, découverte du cosmos, de l'autre, des autres, de soi surtout. Aussi, qui chercherait ici les grands développements d'une fresque épique serait déçu. Les événements, s'ils s'inscrivent bien dans une logique temporelle respectée, se préoccupent nullement de linéarité. Car le propos de l'auteur est ailleurs. Tout est vécu de l'intérieur, passé au tamis de l'émotivité des personnages, à la manière d'un film d'Altman où chaque scène, chaque intervenant, aussi indépendant, unique soit-il, prend place dans un ensemble le dépassant de beaucoup. Et l'écriture élaborée de nous conforter dans cette impression d'intériorité, parfois précieuse, curieusement (paradoxalement ?) minimaliste : on est ici surpris, là dérouté, à l'occasion rebuté même, mais au final séduit.
Comme l'affirme Dominique Warfa dans la préface au présent ouvrage : « Francis Valéry est un être pluriel et complexe, qui crée une œuvre plurielle et complexe ». En voici encore, avec ce recueil-mosaïque, un bien bel exemple.