Bénédicte TAFFIN
GALLIMARD JEUNESSE
704pp - 19,50 €
Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62
Imaginez deux mondes que tout oppose. D’un côté Opale, univers médiéval/féodal classique, où le clergé occupe une place prépondérante et où une partie de la population, les chimars, est méprisée, voire persécutée à cause de ses différences physiques. De l’autre Onyx, planète prospère bénéficiant de technologies très avancées et entièrement gérée par des IA. Une société paradisiaque pour les uns, libres de vivre dans l’oisiveté et l’insouciance, une dictature du bonheur insupportable pour les autres, qui n’en peuvent plus d’être sans cesse infantilisés par les entités virtuelles chargées de veiller à leur bien-être. C’est le cas d’Angus et de son père, Vince. Avec quelques autres, ils prennent place à bord d’un vaisseau devant les conduire sur une nouvelle planète à coloniser. Mais durant le voyage, ils s’emparent de l’appareil et neutralisent son IA. Les voici désormais libres de s’installer où ils veulent, loin de l’univers qui les a vus naître. Sauf que les choses ne se passent pas exactement comme prévu et que c’est sur Opale que leur vaisseau s’écrase. Et c’est ainsi que deux mondes que tout oppose se rencontrent.
Pour son premier roman, Bénédicte Taffin refuse de choisir entre science-fiction et fantasy et préfère mélanger les deux genres, tout en rendant hommage aux auteurs qui l’ont fait rêver, de Frank Herbert à Marion Zimmer Bradley. Les deux univers qu’elle met en scène n’ont certes rien de très original, mais ils constituent un cadre confortable qui lui permet de déployer tous ses talents de conteuse. Et ils ne sont pas de trop pour mener à bien un projet de sept cent pages sans baisse de régime notable. De ce point de vue, le pari est remporté haut la main.
On sent l’auteur plus à l’aise lorsqu’il s’agit de décrire le monde bigarré et somme toute assez sensuel d’Opale, plutôt que celui aseptisé d’Onyx. Ça tombe bien, c’est là que l’essentiel du récit va se dérouler. L’intrigue principale se concentre sur le royaume de Kindar, et plus particulièrement sur l’histoire de la fille de son souverain, Héléa. Née d’une mère chimar, elle est mal vue par l’entourage de son père, le clergé local et les monarques voisins. Aussi, lorsque le roi meurt brusquement et que son frère disparaît, beaucoup refusent de la voir monter sur le trône. Alors que la situation devient pour elle intenable, l’arrivée inattendue des Onyxiens va tout remettre en question.
Héléa est un personnage intéressant et attachant. Plongée brutalement dans une situation à laquelle elle n’était pas préparée, et qui ne va cesser d’évoluer de manière inattendue, elle réagit le plus souvent avec une grande lucidité et s’impose petit à petit dans un rôle auquel elle n’était pourtant pas destinée. De l’enfant privilégiée qu’elle était, il lui faut s’affirmer comme une adulte responsable, amenée à jouer un rôle crucial dans l’histoire de son monde.
A bien des égards, les Onyxiens dans leur ensemble font figure de grands enfants. Choyés et protégés depuis toujours par leurs IA et les robots qui les entouraient, les voilà confrontés à un monde sauvage dont ils ignorent les règles. Même un phénomène aussi naturel qu’une grossesse leur est tout à fait étranger et constitue à leurs yeux une chose répugnante. Là aussi, face à une série de dangers de plus en plus mortels, il leur faudra très vite grandir, et beaucoup n’y survivront pas.
Les chimars jouent un rôle important dans le récit. Considérés par le reste de la population comme des démons, il s’agit en réalité de mutants, dont les particularités physiques peuvent prendre de très nombreuses formes, s’apparentant même dans certains cas à des superpouvoirs (invisibilité, téléportation, etc.). Lorsqu’elle les met en scène, Bénédicte Taffin fait d’eux des sortes de X-Men médiévaux, un rôle sans doute incongru mais plutôt amusant dans l’utilisation qu’elle en fait.
Au terme de ce roman, nombre de questions restent en suspens, et de nouvelles pistes sont lancées. Autant dire qu’il y aura un deuxième tome aux aventures du royaume de Kindar, et sans doute plus si affinités. Par ses thématiques et le classicisme de son univers, Les Yeux d’Opale s’adresse avant tout à un public jeune. N’empêche que, même aux âges avancés qui sont les nôtres, il n’est pas interdit d’y trouver un authentique plaisir de lecture, et de reconnaitre en Bénédicte Taffin une conteuse de grand talent.