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Les critiques de Bifrost

Léviathan 99

Léviathan 99

Ray BRADBURY
DENOËL
464pp - 25,00 €

Bifrost n° 58

Critique parue en avril 2010 dans Bifrost n° 58

Qu’on soit fan ou pas, un nouveau livre signé par l’auteur des Chroniques Martiennes, c’est toujours un événement. Celui-ci, inédit dans sa composition, constitue en fait l’assemblage de deux recueils américains : The Cat’s Pajama et Now and Forever, séparés par la nouvelle « La Chrysalide » (jamais traduite en France et adaptée en long-métrage par Tony Baez Milan en 2009). L’occasion de découvrir vingt-cinq récits du maître américain qui file tout droit vers ses 90 ans.

The Cat’s Pajama comprend vingt-et-un textes écrits entre 1946 et 2003, qui, comme le rappelle la quatrième de couverture, abordent « tous les genres de l’imaginaire : de la chronique estivale, mélancolique, à la science-fiction poétique en passant par le fantastique horrifique ». Et on peut ajouter le poème et l’autobiographie. Résultat : à chaque début de nouvelle, on ignore totalement l’univers dans lequel on va être plongé. Ce qui peut surprendre et s’avérer d’autant plus plaisant. Quand on espère du fantastique, c’est de l’autobiographie ; on veut de la science-fiction, on se retrouve avec un poème. On passe d’un hymne à la tolérance avec « Le Jeune homme et la mer » à un récit angoissant dans « L’Ile », d’un texte policier avec « Mort d’un homme prudent » à une nouvelle fleur bleue dans « Le Pyjama du chat »… Cette hétérogénéité, certes enrichissante, a toutefois ses inconvénients. Les attentes, quelles qu’elles soient, sont parfois déçues. Quand on entame une lecture, on ne peut se départir d’envies, de représentations qui nous préparent à en apprécier le contenu. Ici cette anticipation tourne court, l’ensemble s’avérant par trop inégal. Malgré tout cette première partie, environnée d’un sentiment de nostalgie fugace mâtiné d’un soupçon de tristesse, n’en demeure pas moins agréable, même si dénuée de texte véritablement marquant.

« La Chrysalide » reprend le thème classique de la métamorphose : un homme qui devrait être mort survit on ne sait comment dans une sorte de gangue rigide. Les scientifiques qui suivent son cas s’affrontent pour savoir quel sort lui faire subir : détruire ce danger potentiel ou protéger ce futur mutant. Conventionnel, mais de bonne facture.

La deuxième partie, Now and Forever, se compose de deux novellas : « Quelque part joue une fanfare » et « Léviathan 99 ».

Dans la première, on retrouve la légèreté de ton de Bradbury et son amour inconditionnel des images. Un jeune homme se rend dans une petite ville perdue au milieu du désert : son exploration de cette étrange cité entraîne le lecteur d’un mystère à un autre. Le rythme est soutenu grâce à de courts chapitres et, même si le dénouement se révèle prévisible, on ne s’ennuie en aucun cas, bien au contraire.

La nouvelle titre, « Léviathan 99 », hommage au Moby Dick de Herman Melville, a été retravaillée de nombreuses fois nous apprend Bradbury dans sa préface. Elle a même été rallongée en 1972 de 40 pages ! Heureusement, le texte proposé ici est réduit à une taille proche de celle d’origine. L’histoire de cet homme à la poursuite d’une comète terrifiante, le Léviathan du titre, tel Achab traquant sans relâche la baleine, a beau s’avérer assez captivante, la folie du capitaine du Cetus 7 n’atteint pas la puissance de l’original. Ainsi, en dépit de quelques trouvailles — dont ces extraits d’émissions radio anciennes interceptés comme des bouteilles à la mer —, l’ensemble paraît quelque peu artificiel et échoue à faire oublier Melville, et de beaucoup.

Reste au final un recueil certes pas déplaisant, mais qui ne s’inscrira pas au pinacle d’une œuvre fondatrice, œuvre que son auteur vieillissant semble définitivement incapable de renouveler. A réserver aux inconditionnels, en somme.

Raphaël GAUDIN

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