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Les critiques de Bifrost

Lliane

Lliane

Jean-Louis FETJAINE
FLEUVE NOIR
276pp - 19,00 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Pour son retour dans le domaine de la fantasy, Jean-Louis Fetjaine a fait le choix de renouer avec l'univers elfique qui a assis sa réputation dans le club hexagonal des auteurs de fantasy à (gros) succès. Il faut donc se faire une raison, le cycle des elfes qui ne constituait initialement qu'une trilogie, s'intègre désormais dans un ensemble « historique » de chroniques beaucoup plus vaste. Et le lecteur que je suis, encore émerveillé par le drame en trois actes au pays des mythes celtes et de la Matière de Bretagne, de s'inquiéter de ce retour en une contrée déjà explorée. Car à vrai dire, il a vieilli, ce lecteur, et énormément lu entre-temps, notamment le cycle du Codex Merlin de Robert Holdstock. En conséquence, il est devenu plus exigeant. Mais en même temps, il demeure impatient de s'immerger à nouveau dans ce monde crépusculaire qui associe la magie de la féerie aux remugles d'une Histoire dépouillée de sa patine ; un monde désenchanté qu'il garde encore tout chaud dans sa mémoire. En fin de compte, tout ce que Lliane lui refuse et lui propose à la fois. Il serait d'ailleurs peut-être temps d'en parler.

Lliane, si vous vous rappelez de la Trilogie des elfes, est le prénom de la reine du peuple des Hauts elfes. Dans ce nouvel opus, celle-ci n'est pas encore reine. Jeune adolescente mutine, elle court souvent les bois en compagnie de son compagnon Llandon et de sa bande, chassant la grosse bête et faisant à l'occasion la bête à deux dos. C'est au cours d'une partie de chasse que la troupe affronte une meute de loups géants affamés conduits sans muselière par un parti de kobolds. De cette échauffourée, Lliane ressort toute bouleversée. Mais rapidement, elle comprend que cette rencontre n'est pas fortuite. Celle-ci est un signe précurseur du retour de celui-qui-ne-peut-être-nommé. Et les signes de mauvais augures ne tardent pas à se multiplier. Cela commence par la découverte de Maheolas, un jeune clerc effrayé dont la communauté a été entièrement massacrée après avoir tenté de défricher une clairière dans la forêt d'Eliande. Et puis, cela continue avec le message alarmant qu'un baron des Marches adresse au roi Ker de Loth. Le vieux monarque dépêche immédiatement son héritier Pellehund et quelques chevaliers afin de s'enquérir sur place de la véracité de l'alerte. Et lorsque la troupe arrive à destination, c'est pour se rendre compte que l'invasion a déjà commencé.

En guise de nouveauté, Jean-Louis Fetjaine nous écrit donc une préquelle (c'est hélas un procédé à la mode) qui ne bouleverse en rien les conventions d'un genre bien établi (pour ne pas dire enferré dans la routine). Fidèle à sa méthode, l'auteur convoque le corpus fabuleux des légendes « historiques » des peuples celtes. Son matériau est extrait cette fois-ci du Lebor Gabála érenn (le Livre des conquêtes d'Irlande). Comme le néophyte ne le sait sans doute pas, cet ouvrage apocryphe raconte le peuplement mythique de l'Irlande en le présentant comme une succession d'invasions. Ce livre, dont il existe plusieurs versions, est évidemment sujet à caution, car les clercs qui l'ont à maintes reprises copié et remanié ne se sont pas privés de mêler aux éléments de la culture orale, antérieurs à la christianisation, des références chrétiennes. Sans entrer dans le débat historiographique, Jean-Louis Fetjaine établit une correspondance entre son récit de fantasy et l'histoire mythique du peuplement de l'Irlande, renforçant par la même occasion la tonalité « historique » qu'il a voulu donner à ses chroniques elfiques. Mais le procédé a un inconvénient : celui du déjà-vu. Lliane ne fait que développer des éléments qui apparaissaient en arrière-plan de la Trilogie des elfes. L'intrigue, balisée et sans surprise, n'arrange rien à l'affaire. Elle se conjugue à l'impression de déjà-vu pour amoindrir l'intensité dramatique du récit. Et tout ce qui faisait le sel du cycle initial — le caractère torturé des personnages, les scènes épiques, l'obscurité humide et mystérieuse des forêts — s'estompe au profit d'une imagerie, certes bien campée, mais au final d'une platitude décevante. Toutefois, difficile de se faire un avis définitif sur cette nouvelle époque, car Lliane — c'est coutumier en fantasy — n'est que le premier volet d'une… devinez un peu ? De surcroît, ce premier tome s'achève sur la disparition de la jeune elfe dans des circonstances dramatiques. Un suspense tout de même rapidement éventé lorsqu'on a lu le précédent cycle… Soyons donc lucide, Lliane est un roman à réserver aux fans les plus acharnés. Et c'est un fan qui vous le dit.

Laurent LELEU

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