Après Le Secret de la chambre de Rodinsky coécrit avec Rachel Liechtenstein (Anatolia/éditions du Rocher), London Orbital (Babel/Actes Sud) puis Londres 2012 et autres dérives (Manuella éditions), London Overground est le dernier ouvrage en date de Iain Sinclair traduit en français. Autant dire que son œuvre – forte d’une quarantaine de volumes publiés depuis 1970 – demeure quasi inconnue en France. Et seul.e.s les anglophones peuvent, pour l’heure, prendre la mesure d’une littérature que des figures centrales de l’Imaginaire anglo-saxon considèrent de longue date comme essentielle. À l’instar d’Alan Moore, dont From Hell a été nourri par Lud Heat, un titre de 1975, tenu pour le premier chef-d’œuvre de Sinclair et pourtant inédit en français. Michael Moorcock classe quant à lui notre auteur parmi les meilleurs écrivains britanniques : l’auteur de Mother London goûte particulièrement son White Chappell, Scarlet Tracings (1987), lui aussi privé de toute traduction française. Last but not least, China Miéville se réclame de Sinclair, dont l’influence est patente dans le cycle de « Nouvelle-Crobuzon » comme dans The City and The City. Qu’ont rapporté ces créateurs (adulés des bifrostien.ne.s) de leurs plongées envoûtées dans les nombreux univers sinclairiens ? Un rapport réflexif et créatif à l’espace urbain fondé sur la psychogéographie, discipline singulière et fascinante dont Sinclair est l’un des praticiens contemporains majeurs. Marchant sur les traces de ces arpenteurs visionnaires de Londres que furent William Blake ou Arthur Machen, il partage avec eux « une perception de la ville comme site de mystère, et cherch[e] à révéler la […] nature de ce qui se cache sous le flux de tous les jours » (Merlin Coverley, Psychogéographie !, les Moutons électriques). Il en va ainsi de London Overground, consignant la très personnelle exploration par le psychogéographe du réseau ferroviaire banlieusard londonien. Appréhendant, selon ses propres mots, « les voies ferrées comme système de divination, invocations d’entités surnaturelles, anges, esprits, démons », Sinclair a ramené de sa dérive non pas un compte-rendu documentaire, mais un récit hallucinatoire. « Nous cherchons des traces comme des sourciers, attendant que des sites d’exception nous confirment le mystère et la magie de la ville », écrit encore l’écrivain-marcheur dont la plume transforme la Londres mercantile de Boris Johnson en un champ romanesque délirant. Pour mener à bien cette métamorphose du lucre en littérature, Sinclair imprègne sa vision de celles d’auteurs de l’Imaginaire, invoqués comme autant de puissances inspirantes. Bram Stoker, Arthur Conan Doyle, H. G. Wells mais aussi Angela Carter, J. G. Ballard et Tim Powers sont quelques-uns « des messagers venus de mondes parallèles » guidant Iain Sinclair dans son entreprise psychogéographique. Et la cartographie dressée par London Overground – merveilleuse, terrifiante – révèle que c’est non pas d’un Royaume mais plutôt de l’Imaginaire que Londres est l’hypnotique capitale.